Vendredi 11 août 1944
GROUPEMENT TACTIQUE DIO
Sous-groupement NOIRET
Sur le chemin d’ALENÇON
1944 : sur le chemin d’Alençon par Jean CASTALION
Nous sommes le 10 août 1944, le 4e escadron doit attaquer en tête du régiment et rompre les positions allemandes face à nous ; il est environ dix heures au matin, soudain, un paysan arrive en courant et demande à voir le capitaine qui se trouve auprès du char Navarre du lieutenant d’Arcangues, 2e peloton, dont je suis le pilote.
Il a passé les lignes et annonce que toute la nuit des chars allemands sont arrivés et ont pris position autour du village de Mézières. Le capitaine le remercie pour son courage et les renseignements qu’il apporte (c’est la 9e Panzer).
Peu après, l’ordre est donné au 1er peloton du lieutenant Zagrosdki de passer à l’attaque sur la départementale n° 6 qui relie Ballon à Bonnetable. Subitement, le char du lieutenant a comme un soubresaut et stoppe, il vient de recevoir de plein fouet un 88 au poste de pilotage. Le lieutenant saute du char avec le chargeur et donne des ordres aux autres, mais il est fauché par la mitrailleuse du char allemand. Les deux chars qui suivent sont touchés à leur tour, le quatrième char sera détruit par une bombe d’un Thunderbolt quelques minutes après, pour avoir oublié de changer ses panneaux de signalisation.
Le capitaine Hargous se précipite à hauteur du Navarre et donne l’ordre au lieutenant d’Arcangues de déboîter sur la gauche et de passer à travers les haies pour prendre à revers les Allemands, afin de les obliger à décrocher.
Les cinq chars du 2e peloton foncent à travers le bocage normand, mais bientôt nous perdons de vue les quatre autres. Nous continuons seuls. A part quelques tirs à la mitrailleuse, R. A.S. Après quelque temps, mon copilote, Bernard Ponteau se met soudain à jurer. Je lui demande ce qu’il a. Il me répond que sa mitrailleuse s’est enrayée. Avec le tout terrain qu’on se paye, pas question de la démonter dans le noir de l’habitacle, malgré l’entraînement que nous avons eu.
Subitement, en contrebas du pré où nous sommes, nous débouchons sur une route goudronnée. Personne aux alentours. Nous poussons un soupir de soulagement. Le lieutenant fait tourner la tourelle du 75 vers l’arrière, persuadé que l’ennemi est par là. J’aborde un virage au carrefour des Sablons, près de Mézières. Soudain, un très gros choc ébranle mon char, une grande flamme jaillit à l’intérieur, mon copilote est décapité. Nous sommes touchés. J’essaye de passer une vitesse pour me mettre à couvert dans la forêt toute proche à ma gauche… Impossible ! Ma boîte de vitesses a sauté sous l’impact. J’ouvre le portillon au-dessus de moi… Ouf ! Le canon est perpendiculaire à la marche.
Dès le premier coup, le lieutenant a fait tourner la tourelle, mais le Panther a une précision et une rapidité diaboliques. Le temps que je me hisse hors de mon poste, trois perforants sont arrivés au poste de pilotage et le quatrième pénètre au même instant dans la tourelle à cinquante centimètres de moi. J’entends comme du métal en fusion et je vois un trou fait à 1’emporte-pièce. Je saute dans le fossé à gauche du char, je m’aplatis car la mitrailleuse est virulente.
Soudain, je vois le lieutenant d’Arcangues qui se hisse à la force des bras de la tourelle (quel courage !) pour laisser passer le tireur de Vaumas. Il se laisse tomber sur la route de mon côté. Il a la jambe droite sectionnée au-dessus du genou et la gauche ne tient que par des lambeaux de chair. Je sors du fossé et le tire pour le mettre à l’abri de la mitrailleuse du Panther. C’est là qu’il me dit : « Fous le camp. Nous sommes encerclés. » Je me recule pour regarder derrière moi et j’aperçois un casque allemand avec des branchages. En même temps, je vois la grenade qu’il me balance. J’ai le réflexe de bondir de l’autre côté de la route. Je me couche dans le fossé où je retrouve le tireur.
Nous nous sommes compris et faisons les morts. Nous entendons des pas et des vociférations qui approchent. Nous nous relevons. Ils nous entourent l’arme à la main, l’air mauvais. Soudain, un ordre, l’officier vient nous interroger. Il est auprès du Panther. Nous sommes emmenés mains sur la tête. A cet instant, je ne peux retenir mes larmes et l’officier se méprend sur mon compte. Je lui fais comprendre que c’est pour mes deux camarades morts dans le char et le lieutenant qui agonise et que nous ne pouvons aider. Il veut savoir si nous sommes des « S.S. de De Gaulle ». Nous répliquons : « De l’armée d’Afrique ».
A ce moment, des Thunderbolt nous attaquent et nous trouvons refuge dans la forêt. La terre tremble sous l’impact des bombes ; finalement le ballet aérien cesse, les Allemands décrochent, nous laissant à la garde d’un soldat. Les véhicules défilent sur la route : chenilles, camions, voitures. Personne ne veut nous prendre, certains même font signe à notre gardien de nous supprimer. Subitement un chenille s’arrête et nous prend. Les Allemands sont jeunes, comme nous, entre dix-huit et vingt-cinq ans, inquiets.
Nous sommes talonnés par les chars de chez nous, pilonnés par l’artillerie et l’aviation : nous stoppons près d’un P.C. De gros chars Tigre et Panther sont à l’affût. Nous prenons en charge un copain des chars légers brûlé à 70 %, les allemands l’ont transformé en momie égyptienne ainsi qu’un civil résistant.
Nous repartons le soir et faisons halte dans le parc d’un château. Au loin, nous apercevons la forêt de Perseigne. A la tombée de la nuit, une attaque se produit… Américains ? Français ? Nous l’ignorons. C’est la débandade. Nous en profitons pour nous camoufler dans les buissons qui longent le mur d’enceinte. Nous nous faisons le moins épais possible, car les balles traçantes viennent frapper les feuilles mortes sous notre nez. Le char allemand est de l’autre côté du mur, à environ quatre ou cinq mètres et nous entendons les ordres de tirs. Soudain, un soldat nous cherche, mitraillette au poing ; il scrute les buissons. Il fait trop noir pour nous voir, il hésite, puis s’en va. S’il avait lâché une rafale !
L’artillerie de notre côté se déclenche, les obus tombent sur le côté droit de l’allée du parc, des véhicules flambent, pas un seul obus de notre côté. Décidément, ce jour nous avons la divine protection avec nous. Écrasés de fatigue nerveuse et n’ayant rien mangé depuis la veille, nous nous endormons vers six heures du matin.
Au réveil, c’est le calme complet. Nous nous levons, les Allemands ont décroché… Nous apprenons plus tard qu’ils se sont réfugiés dans la forêt de Perseigne. Nous quittons le parc, le civil devant nous au cas où il y aurait quelque chose de suspect, et voilà que nous tombons sur le curé du village qui va sonner la cloche pour fêter la libération.
Il nous signale qu’un char américain est sur la route, nous y allons, il a été déchenillé par un 88. De Vaumas parle anglais. Ils nous indiquent que les Français ne sont pas loin. Nous partons et tombons bientôt sur une Jeep de chez nous. Le commandant nous félicite de notre évasion et nous emmène au P.C. du colonel de Langlade qui nous félicite à son tour mais a l’air très préoccupé de l’attaque sur la forêt d’Écouves par le 12e RCA. Nous rejoignons ensuite le 4e escadron avec tous nos copains et le capitaine qui sont fous de joie de nous retrouver.
SARTHE - 1944
BOURG-LE-ROI - Infos pratiques