SAESSOLSHEIM – (Bas-Rhin)



SAESSOLSHEIM

 

23 novembre 1944

 

 

 

 

 

 

La charge sur Strasbourg (23 novembre)

 

Le 22 novembre à 19 heures, Leclerc donne Tordre d’attaquer Strasbourg le lendemain, 23.
Le groupement D, disposant des sous-groupements Minjonnet (provenant du GTL), Quilichini et Didelot, achèvera le dégagement de l’axe Phalsbourg-Saverne et tiendra les débouchés de Saverne, La région est à nettoyer car elle fourmille d’Allemands.
La charge sur Strasbourg sera menée sur quatre itinéraires aboutissant autour de la ville, à Schiltigheim, Mittelhausbergen, Cronenbourg et Koenigshoffen, confiés chacun à un sous-groupement des GTL et GTV ;
au nord, les sous-groupements Rouvillois et Massu, au sud, les sous-groupements Putz et Cantarel. Un 5e sous-groupement (du GTV) Debray (qui a remplacé La Horie) s’écartera à mi-route vers le terrain d’aviation de Nauhof, au sud de Strasbourg.

Le GTR léger couvrira le débouché face au sud, à hauteur de Wasselonne,
Du point de vue de la connaissance de l’adversaire, le 2e Bureau sait Strasbourg entouré par une ceinture de forts occupés en force par les Allemands, reliés entre eux par un fossé antichars,
Dans ses instructions, Leclerc précise que le maximum de rapidité doit être mis en œuvre pour surprendre les défenses ‘extérieures de Strasbourg et tenter de franchir le pont de Kehl, contourner les résistances, ne pas assurer la garde des prisonniers, simplement détruire leurs armes.
Les détachements de tête disposent de camions civils à pousser par surprise, si possible, sur le pont de Kehl, pour tromper la vigilance des Allemands,

A 7 heures, le 23, les cinq sous-groupements partent alignés comme pour une course. Si un sous-groupement trouve une voie libre, les autres s’engouffreront derrière lui.

A 9 heures 30, le sous-groupement Massu se heurte à des défenses importantes appuyées sur les forts Foch et Pétain; il entame un dur et coûteux combat pour tenter de passer.
A 10 heures, les colonnes du GTV sont également arrêtées par les prolongements au sud de ces mêmes défenses allemandes,
Au nord, le sous-groupement Rouvillois fonce sur son axe, il bouscule des résistances allemandes à Mommenheim et à Brumath, évite des mines.
Les chars de tête tirent sans arrêt contre des véhicules et des fantassins armés de bazookas, Schiltigheim est dépassé, la pancarte Strasbourg franchie par le premier détachement à 9 heures 30 ; la course se poursuit devant la cathédrale où des Allemands sont complètement surpris par des tirs de chars,

A 10 heures 10, le sous-groupement Rouvillois passe le message codé : Tissu est dans iode, Rouvillois est dans Strasbourg.
Dès que Langlade a connaissance de ce message, il prescrit à Massu de cesser son combat, devenu inutile, et de suivre le chemin ouvert à coups de canon et de mitrailleuses par les blindés de Rouvillois ; Massu réussit à décrocher ses troupes engagées et à rallier l’itinéraire prescrit
II atteint Schiltigheim et entre dans Strasbourg par la porte de Haguenau vers 15 heures,

Dans Strasbourg, Rouvillois progresse et se porte vers le pont de Kehl.
La surprise ne joue plus et les détachements de tête rencontrent, à partir de 12 heures 30, une résistance dure dont ils n’ont pas les moyens de venir à bout, à quelques centaines de mètres du Rhin qui ne peut être bordé.

Au sud, le GTV force vers 13 heures le barrage antichars allemand appuyé sur le fort Kléber et s’engouffre dans la partie sud de la ville.
La défense allemande de Strasbourg est tournée : le nettoyage commence et durera deux jours.

Derrière la 2e DB, les deux DMS progressent vite et nettoient les Vosges.
Dès le 25, Leclerc fait pousser des reconnaissances vers le sud, en direction de Colmar.
Le 26, a lieu un dur accrochage au carrefour, à 1000 mètres à l’ouest d’Erstein.
La charge sur Strasbourg est terminée, La bataille d’Alsace commence.

Le 25 novembre, Leclerc adresse à ses hommes l’ordre de jour commençant ainsi :
En cinq jours, vous avez traversé les Vosges malgré les défenses ennemies et libéré Strasbourg.
Le serment de Koufra est tenu“.

(Extrait de “LECLERC” – Général Jean COMPAGNON – Flammarion)

 

 

 

Extrait de “7 ANS AVEC LECLERC”
Jacques MASSU
PLON – 1974

Pour bondir sur Strasbourg, le dispositif de la 2e D.B. prévoit cinq colonnes, en ligne comme pour une course.
Couverts par le groupement Dio au nord, vers Bouxwiller, et au sud par le groupement Rémy, ces cinq itinéraires centraux sont réservés à Rouvillois, à moi-même et aux trois sous-groupements de Guillebon : Cantarel, Putz et Debray.
Ils passent respectivement, venant du nord, du nord-ouest, de l’ouest et du sud, par Schiltigheim, Mittelhausbergen, Kronenbourg, Koenigshoffen, Lingolsheim.

La ligne de départ est franchie à 7 h 15 et c’est la ruée.

Qui arrivera le premier ?

Mon sous-groupement traverse Waldolwisheim, Furchhausen, Altenheim, Duntzenheim…
L’allure devient de plus en plus rapide, au point qu’un half-track se renverse dans un virage. L’équipage a roulé, pas de casse ! Moitié sérieux, moitié plaisant, je tente par radio de refréner les excès de vitesse, mais pour une fois je ne suis pas entendu. Je ne peux d’ailleurs pas espérer autre chose de la part des conducteurs qui appuient sur le champignon de plus belle. La course continue. Gougen-heim, Reirwiller, Pfettisheim, Pfulgriesheim… Le trio Sorret — Rogier — Eggenspiller est toujours en tête.


Il pleut sans arrêt.

Devant nous apparaît la ligne des vieux forts, en face sur la crête. Résisteront-ils ? Mais chacun n’a qu’une idée : derrière cette crête, à quelques centaines de mètres, nous verrons s’étaler devant nous Strasbourg et se dresser sa cathédrale.
Des cinq colonnes qui foncent sur Strasbourg, la nôtre est à ce moment la plus proche du but et je suis le premier devant Strasbourg.
Les jeeps de la section de reconnaissance bondissent comme pour le sprint, suivies par des chars sur lesquels sont grimpés le sous-lieutenant Albert Jung et sa section. Jung, un Strasbourgeois, va rentrer en vainqueur dans sa ville natale.

Soudain, partent des coups de feu.
Derrière l’avant-garde je stoppe au premier carrefour, prêt à diriger aussitôt le deuxième élément dans une manœuvre de débordement.
Mais les nouvelles qui me parviennent de la tête sont mauvaises. Jung a été mortellement frappé en pleine tête.
Le capitaine Eggenspiller, Alsacien lui aussi, est très grièvement blessé d’une balle qui lui a traversé la poitrine de part en part.
Le lieutenant Sorret est blessé à la jambe ; il me croise sur le chemin de l’évacuation et me communique son impression pessimiste.
Le lieutenant Lunardini, qui commande les chars de tête, est également touché.
La route est, à cet endroit, en déblai. Les Allemands qui se trouvaient en haut du talus dans une tranchée ont tiré sur les nôtres à bout portant.
Tout cela en quelques secondes, et le temps pour nos fantassins d’escalader le talus, les « canardeurs » avaient déjà pu s’échapper par un boyau en direction des forts.
Les forts Foch et Pétain révèlent d’autres armes défensives sur la crête en face de nous.
Pour les réduire au silence le capitaine Rogier amorce une manœuvre de chars hors de la route, mais l’adjudant-chef Titeux qui les commande est, à son tour, grièvement blessé. Les tirs d’arrêt de l’adversaire, les feux de ses tireurs d’élite, bien camouflés et abrités dans des tranchées, rendent l’action de l’avant-garde beaucoup trop onéreuse à mes yeux.
En effet les chars ne peuvent progresser, tant le terrain est détrempé par la pluie qui ne cesse de tomber.
Les fantassins combattent sur un véritable glacis.
Le Gonidec de Keralic, Claus, Duhil de Bénazé, Luciani, Durand sont tués. D’autres sont blessés.
Le capitaine Ramières a beau régler son tir sur ces maudits forts et sur l’infanterie ennemie, enterrée à trois cents mètres de nos hommes, dans le brouillard, sa position de batterie à proximité de la route est elle-même prise à partie par les batteries ennemies.

A ce moment survient le Révérend Père Houchet, l’aumônier de la Division, figure inoubliable de prêtre-soldat.
Accompagné d’un ambulancier, le quaker britannique Frazer, il va sous le feu chercher les blessés. Frazer est tué, le Révérend Père Houchet en revient par miracle. Il trouvera une mort héroïque quelques heures plus tard, devant le pont du Rhin, en portant secours à son chauffeur blessé.

Le colonel de Langlade, auquel j’ai rendu compte à 9 h 30, me rejoint pour constater l’impossibilité de toute manœuvre dans des champs transformés en bourbiers. Il repart, à la suite d’un entretien manquant d’euphorie.

Tout à coup à 10 h 10, le radio du half-track de commandement prend le message codé, demeuré fameux à la Division, annonçant que Rouvillois, qui a pris la route du nord, vient d’entrer à Strasbourg : « Tissu est dans iode. »

 

 

 

Au loin, la flèche de la cathédrale

 

Un poste de transformation à neutraliser, un passage à niveau à forcer, un pont à franchir, sous les tirs nourris de canons de 88: les obstacles sont nombreux avant que le 50 leRCC, épaulé par le RMT, atteigne la capitale d’Alsace. Récit d’une expérience…

Après la prise de Badonviller et les combats des carrières de Bremenil, les Allemands décrochent.
Le 19 au matin, Cirey-sur-Vezouze est conquis par les spahis du RMSM (3) qui bousculent quelques éléments légers d’arrière-garde.
La 3e compagnie du 501e RCC, commandée par le capitaine Branet, rejoint ce gros bourg dans l’après-midi. Le matériel est remis en état le lendemain. Le colonel Debray prend le commandement du sous-groupement en remplacement du colonel de La Horie, tué aux carrières de Bremenil.

Durant la journée nous entendons le canon en direction du massif vosgien. Les combats sont brefs mais violents.
C’est le sous-groupement Massu qui ouvre la voie vers l’Alsace en progressant sur les petites routes de montagne.
L’artillerie divisionnaire intervient efficacement sur les positions fortement tenues. L’ennemi commence à abandonner ses lignes de défense vosgiennes. Les automitrailleuses et les chars de Massu trouvent devant eux d’importants éléments d’artillerie hippomobiles de gros calibre (105 et 155 mm) qui sont doublés et bousculés par les chars dans les ravins très abrupts. Les prisonniers ne sont pris en charge par personne !
Il faut avancer rapidement, peu importent les fuyards, qui ont abandonné leurs armes.
Nous emboîtons le pas, le 21 à l’aube. La progression des chars n’est pas facile ; les routes sont sinueuses et étroites.
Nous rencontrons de nombreux véhicules hippomobiles sur les bas-côtés, sans leurs chevaux, et de nombreux cadavres de part et d’autre de la route. Nous traversons entre autres Lafrimbolle, Saint-Quirin, Abreschwiller, Walscheid, Dabo et Obersteigen, premier village alsacien, pour arriver, épuisés, à la tombée de la nuit à Birkenwald.

Le général Leclerc s’installe au château, et nous dans quelques granges du village.
Le 22, regroupement dans la plaine aux environs de Marmoutier.
Le 23 au matin, les ordres sont donnés : par cinq itinéraires différents, il faut s’emparer de Strasbourg, du pont de Kehl, et le passer si possible !
Le sous-groupement Debray reçoit une mission particulière : contourner Strasbourg par le sud.
L’objectif est l’aérodrome du Polygone et la centrale électrique du Petit Rhin. Le temps est pluvieux et le ciel est sombre.
Dès le départ, mon poste émetteur tombe en panne à cause de la pluie puisque la tourelle est toujours ouverte pour permettre une observation correcte du terrain : les périscopes ont un champ de vision trop petit. Cette panne n’a que peu d’importance pour le moment du fait que nous suivons les chars légers qui ouvrent la route.
Les villages que nous traversons ne sont pas occupés. Il n’y a personne dans les rues, les habitants se sont mis à l’abri dans leurs caves à cause du bruit des chars. Ils ne savent pas ce qui se passe !
L’itinéraire prévu ne comporte que des routes secondaires.
Nous devions éviter Wasselonne, qui semblait solidement tenue. Le capitaine de Boissieu, commandant l’escadron de protection du général et qui était intégré à notre régiment, le 501e RCC, se chargera de faire tomber cette résistance et s’emparera de ce village.
Nous contournons Wasselonne par le nord et Marlenheim par l’est.
Nous progressons vers Ergersheim et Kolbsheim, où nous franchissons un pont sur la Bruche que les Allemands étaient en train de miner.
Ils sont découverts et neutralisés par des fantassins du RMT qui nous suivent.
Puis voici Hangenbieten, où j’aperçois au loin, malgré la brume, la flèche de la cathédrale de Strasbourg. Quelle émotion !
À la sortie de Holtzheiin et avant d’arriver à Lingolsheim, banlieue strasbourgeoise, la colonne est stoppée.
Le chef de la section de chars légers, le sous-lieutenant Lespagnol, qui nous précédait, est tué dans sa tourelle par un tir d’armes automatiques venant des superstructures boisées du fort Joffre. La fusillade est générale, mais heureusement les Allemands ne disposent pas d’armes antichars ; plusieurs fantassins sont blessés, il y a même quelques morts.
Je propose immédiatement au colonel Debray, qui avait remonté la colonne avec sa jeep pour venir aux nouvelles, de prendre la tête du sous-groupement avec ma section de Sherman, du fait que je connaissais parfaitement les lieux puisque j’étais natif d’Illkirch-Graffenstaden, petite ville située au sud de Strasbourg et connue pour son importante usine spécialisée dans la construction de locomotives à vapeur exportées dans le monde entier. Pour me permettre de commander mes autres chars, j’abandonne le Hartmannswillerkopf pour monter sur la plage arrière du Dixmude, commandé par mon adjoint, l’adjudant-chef Arnold, qui dispose, lui aussi, d’un poste émetteur.
J’ai à mes côtés deux voltigeurs algériens qui font partie d’un petit groupe franc intégré à la 3e compagnie et constitué d’engagés volontaires de Paris et des hommes de service de la compagnie volontaire, pour participer aux combats avec les chars.
Avec l’accord du colonel Debray, je passe en tête, debout à l’arrière de la tourelle, le micro à la main.
La progression redémarre rapidement. Le Hartmannswilllerkopf suit derrière moi sans chef de char, mais le conducteur et le tireur m’entendent.


Premier accrochage

À l’entrée de Lingolsheim nous coupons la route venant de la vallée de la Bruche. Nous restons en surveillance quelques instants et nous voyons arriver vers nous un autocar camouflé portant de grandes croix rouges. Je fais tirer sur l”ambulance” ; le véhicule est arrêté dans son élan, moteur en miettes. Une vingtaine de soldats armés se jettent hors du véhicule par les portes et les fenêtres, déposent leurs armes et viennent se rendre (les Allemands nous avaient déjà fait le “coup” de l’ambulance en Normandie !).
Je demande aux fantassins du RMT de s’occuper des prisonniers, et la course reprend.
Je néglige Lingolsheim et j’emprunte une petite route qui doit nous conduire à l’entrée ouest d’llkirch.
En cours de route, nous tombons sur un détachement d’infanterie qui défend un centre de transformation haute tension qui existait déjà avant la guerre.
Tous nos chars ouvrent le feu sur les défenseurs ennemis, qui s’enfuient, impressionnés par notre puissance de feu. Ils cherchent à se dissimuler dans des petits canaux emplis d’eau et bordés de buissons, mais ne lâchent pas leurs armes.
Devant le poste de transformation abandonné, nous tournons à gauche en direction de la gare d’Illkirch, située à deux kilomètres de la ville.
Nous trouvons la barrière fermée. Je demande au conducteur de foncer sur la barrière. Elle plie mais ne cède pas !
Les éléments verticaux se prennent dans les chenilles. Ce n’est guère le moment car quelques rescapés se sont repliés sur les couverts, à l’arrière de la gare, et nous tirent dessus à courte distance. Un des Algériens est blessé. J’entends les balles siffler.
Certaines ricochent sur la tourelle du Dixmude immobilisé. La position n’est pas confortable !
De son côté, le conducteur s’efforce de dégager les chenilles par un mouvement de va-et-vient aidé par quelques fantassins du RMT qui ont compris la raison de notre arrêt. Nous franchissons plusieurs voies ferrées avant d’aborder la deuxième barrière, qui vient d’être relevée par je ne sais pas qui, sans doute un employé des chemins de fer allemands !
La colonne redémarre, j’aperçois déjà le clocher de l’église, la grosse cheminée de l’usine avec son réservoir d’eau à mi-hauteur.
Peu après, les premières maisons et les bâtiments de l’usine apparaissent. J’arrive chez moi.
Quelle joie mais aussi quelle émotion !
Rien n’a changé depuis mon départ en août 1939, sauf le pont sur l’Ill, qui a dû sauter en 1940. À sa place se trouve un petit pont en bois à une voie avec un panneau signalant la charge maximale admissible : trois tonnes. C’est un peu faible pour un char de trente-cinq tonnes. Nous n’avons pas le choix, il ne faut plus s’arrêter, les rives de l’Ill sont bordées d’arbres et les Allemands peuvent s’y cacher. Je demande au conducteur d’avancer prudemment. Connaissant son métier il l’aborde très doucement et sans secousses ; le pont vacille légèrement mais tient et nous passons, les autres chars aussi et toute la suite de la colonne, qui s’étend sur près d’un kilomètre. Dès le passage du pont, nous nous trouvons nez à nez avec un officier allemand à cheval ; il fait instantanément demi-tour et s’engouffre dans une rue adjacente. Quel dommage que nous n’ayons pas pu le capturer, car il était certainement en mesure de nous donner des renseignements utiles pour la suite des opérations. Un instant après, nous voyons arriver un cycliste qui, à notre vue, fait demi-tour et reprend la direction inverse en criant en alsacien : “Ils viennent, ils viennent ! “.
Nous arrivons quelques instants après au carrefour central d’Illkirch-Graffenstaden, dit des “Quatre Vents”, et coupant l’ancienne RN 83 allant vers Colmar. Nous débarquons immédiatement notre blessé, qui était resté allongé sur la plage arrière. Il est pris en charge par une ambulance ayant un équipage féminin qui nous suit de près, comme toujours, malgré les recommandations que nous leur faisions. En quelques minutes, nous sommes entourés d’une vingtaine d’habitants et des ouvriers de l’usine dont nous avions longé la clôture après le pont. Plusieurs personnes me reconnaissent et l’une d’elles me propose d’aller chercher ma tante et marraine, infirmière visiteuse pour les tuberculeux depuis 1920.
Elle arrive avec son vélo, et remplie d’émotion, tremblante, ne pouvant croire que c’était la Libération et que j’arrivais en tête des soldats français. Retrouvailles très émouvantes. Sur ces entrefaites une camionnette allemande se dirige vers nous.
À vingt mètres, ses occupants se
rendent compte qu’il y a quelque chose d’anormal et que ce ne sont pas des chars allemands regroupés au carrefour qu’ils aperçoivent. Le conducteur tente un demi-tour sur les chapeaux de roues, mais il est trop tard ; un obus du Dixmiide l’immobilise et le véhicule va s’écraser contre le mur de l’école toute proche. Deux soldats sortent de l’engin et s’enfuient à toutes jambes derrière l’école. Nous les perdons de vue, ils seront faits prisonniers peu après. Je conseille alors au capitaine Branet d’envoyer une patrouille blindée vers la sortie sud pour s’assurer de l’autre pont sur l’Ill, d’un intérêt capital pour la suite des opérations. Il était temps, parce qu’un groupe du Génie allemand était sur le point de le faire sauter !
Nous restons sur place une petite heure pour permettre au sous-groupement de se reconstituer entièrement. Un des civils présents m’indique qu’à la Meinau, banlieue sud de Strasbourg, il y a, sur la droite, à cinq cents mètres environ, une très forte position de canons antiaériens (DCA) de gros calibre. Cela ne m’inquiète pas trop, du fait que ceux-ci sont destinés à tirer sur les avions.

Cris de Cosaques
Nous quittons Illkirch, vers onze heures trente, et nous arrivons très vite à l’entrée de la Meinau. Là, je vois, à trois cents mètres à gauche, un char allemand qui se déplace lentement en direction du centre ville. Quelques obus l’immobilisent et nous voyons trois hommes en sortir et s’enfuir. Nous avons appris, le lendemain, que c’était un char en réparation et que les mécaniciens n’avaient pas l’intention de se faire tuer. En regardant à droite, j’aperçois, entre deux maisons, les canons signalés, et je me rends compte qu’ils se mettent en position de tir à l’horizontale. Cela change complètement la situation. Ces canons avaient deux vocations : la DCA et la DCB (défense antichar) ; je pense tout de suite aux fameux 88 d’une redoutable efficacité. Je prends la décision de les contourner pour les encercler. Je donne l’ordre aux chars qui me suivent de foncer à toute allure en tirant à la mitrailleuse sans arrêt en direction des canons et en actionnant leurs sirènes (je me suis souvenu des Cosaques des carrières de Bremenil, qui avaient attaqué en tirant et en hurlant, provoquant le désarroi au sein des combattants à pied du RMT).
En fin de compte, tous les véhicules qui suivent les chars légers, les half-tracks du RMT et la 2e section de la compagnie font de même.
L’effet de ces tirs nourris et le bruit infernal des sirènes ont un effet immédiat. Les servants des canons abandonnent leurs pièces pour se réfugier dans une forêt toute proche. Cependant, quelques canons continuent leur tirs, mais heureusement sans grande précision (on a su après que des officiers avaient remplacé les tireurs défaillants, ce qui explique l’imprécision des tirs). Ma position à l’extérieur du Dixmude n’est cependant pas enviable, car j’entends le souffle des obus passant devant, derrière et au-dessus du char et je sais qu’un obus de 88 antichar nous transpercerait immanquablement. Nous revenons de loin mais l’opération est un succès ; il n’y a pas de blessés dans ma section, tous mes chars restent intacts, quinze canons de 88 et de 75 réduits au silence, de nombreux prisonniers récupérés par le RMT, qui s’en tirent bien aussi.
Malheureusement, le sergent Martin, de la 2e section, qui nous suivait à distance, fut tué sur le pont du Rhin Tortu, par un tireur isolé protégé par le mur du cimetière. Ce dernier se trouvait à côté de la batterie de DCA que l’infanterie s’activait à nettoyer pour récupérer les prisonniers.
En attendant que tout le monde soit disponible, nous nous regroupons à l’entrée de Strasbourg, au carrefour de la rue du Neuhof, qui remonte vers le terrain d’aviation et le quartier de la Musau où nous devons aboutir. Le lieutenant Davreux, commandant la 2e section de la compagnie, me propose de prendre la tête du sous-groupement. J’apprécie son geste, mais je reste debout derrière la tourelle du Dixmude et je le dirige en direction de l’aérodrome militaire du Polygone, que nous contournons sans difficulté, le terrain n’étant pas utilisé à des fins militaires. Nous atteignons la Musau, notre objectif. Je suggère au capitaine Branet d’envoyer une patrouille faire le tour du terrain parce que, de l’autre côté, il y avait des casernes occupées avant guerre par des aviateurs français. Effectivement la patrouille essuie des tirs d’armes légères et capture quelques hommes qui n’ont pas eu le temps, comme d’autres, de passer le Rhin sur des barques. Une autre patrouille prend le contrôle de la centrale électrique. Nous passons la nuit dans quelques maisons avec une garde renforcée. Cette nuit sera agitée, car de nombreux Allemands, à pied, tentent de rejoindre le pont de Kehl pour passer en Allemagne. Mais il était trop tard, le pont avait été atteint par une colonne du sous-groupement Rouvillois, qui avait subi la perte de deux chars, dont celui du maréchal des logis-chef Albert Zimmer, natif d’un village très proche de Strasbourg. Ces fuyards se replient alors sur notre secteur, et l’infanterie, qui tient des postes devant nous le long du Petit Rhin et de la voie ferrée qui le longe, reste en éveil permanent. Vers minuit, une compagnie d’infanterie américaine nous rejoint et vient renforcer les postes avancés, qui peuvent prendre un peu de repos, car la journée avait été rude. Au matin, le calme revient. De nombreux Allemands ont été faits prisonniers, le long de la voie ferrée durant la nuit, d’autres ont tenté de traverser le Rhin en barque. Certains, paraît-il, à la nage.
Le lendemain, il y eut quelques bombardements sur la ville qui n’eurent que peu d’effets, mais Strasbourg était libéré …

Capitaine (R) Marcel Chrîsten
(Extrait de “Armées d’aujourd’hui” N° 190)

(1) RMT : Régiment de marche du Tchad.
(2) RCC : Régiment de chars de combat.
(3) RMSM : Régiment de marche des spahis marocains.

 

 

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