PETERSBACH
21 novembre 1944
Extrait de ” La Libération de Strasbourg ” – JacquesGRANIER – Georges FOESSEL – Alphonse IRJUD
La Nuée Bleue – 1994
DIGNES DES PRESTIGIEUX CUIRASSIERS DE REICHSHOFFEN
Le lendemain, les chars de tête du 12e régiment de cuirassiers de Rouvillois tournent large, en accord avec Leclerc, et, par Siewiller et Petersbach, se présentent devant La Petite Pierre à peine retardés en cours de route. C’est partout la même surprise chez l’ennemi, incapable d’abattre dans sa retraite autant de kilomètres que les chars Sherman de la DB.
Rouvillois, ce cavalier sportif, est à son aise dans cette irrésistible chevauchée à travers le moutonnement des paysages lorrains et des Vosges du nord. Leclerc n’ignore rien de ses qualités dont il sait qu’elles vont lui être précieuses pour prendre de vitesse l’ennemi.
Aussi, dès le 16 novembre à Baccarat, lui a-t-il confié, avant de lancer les groupements de sa division blindée à l’attaque des doubles défenses ennemies établies à grand renfort de main-d’œuvre de la « guerre totale » dans le massif vosgien — les Vogesenstellung —, des escadrons de cavalerie blindée qui ne cessent de s’illustrer depuis la bataille de Normandie et leur audacieux déboulé sur Paris.
Le vibrant ordre du jour que Rouvillois adresse aussitôt à ses troupes sonne comme une charge.
« J’ai la joie, leur annonce-t-il, de prendre le commandement de notre 12e cuirassiers que beaucoup d’entre vous et moi avons fait renaître sur la terre d’Afrique. Depuis, j’ai combattu à la tête de chacun de vos escadrons, je dirai même auprès de chacun d’entre vous.
Je connais votre allant et je sais l’admiration que nous suscitons ; elle est due au culte vivifiant de nos héros dont nous sommes prêts à suivre l’exemple, au respect de nos traditions qui se traduisent chaque jour par la bonne humeur dans les situations les plus difficiles, par le souci de la tenue malgré la boue et le froid. » Nous sommes dignes des prestigieux cuirassiers de Reichshoffen et de Morsbronn. Nous attendons avec impatience que sonne l’heure de la charge sur le plateau lorrain et la plaine d’Alsace. Nous savons les diffcultes qui nous attendent, mais nous surprendrons l’ennemi par notre audace. Qu’importe notre vie pourvu que notre étendard flotte sur les bords du Rhin et que vive la France.»
Voilà maintenant Rouvillois sur les arrières de deux unités allemandes qui refluent en désordre depuis Morhange devant le XIIe corps américain : les 361e Volksgrenadiere et 111e Panzer. Le commandement allemand essaie vainement de les rameuter.
A 16 h, Rouvillois arrive à Petersbach, ce gros bourg bâti sur une croupe, qui commande le passage de La Petite Pierre. Il est digne et raide comme à l’accoutumée. Son œil brille derrière ses lunettes. Il a enfin reçu du carburant et les pleins sont faits. Il accoste le capitaine de vaisseau Josse et l’interroge:
— Avez-vous fait hisser les couleurs ? Josse est confus. Il a oublié.
Rouvillois ordonne :
— Faites-les monter tout de suite, pendant que je donne les ordres pour poursuivre la progression.
Bientôt, devant une foule respectueuse, les couleurs nationales montent au mât et les notes graves de la sonnerie A l’étendard, jouée par l’adju-dant-chef Caille, se répercutent dans la grisaille.
Du haut de la fenêtre de la mairie, Frédéric Zillinger, le maire français d’avant 1940, qui a préservé de son mieux ses administrés des exactions nazies, tente de prononcer un discours :
« Chers compatriotes, dit-il, voici nos libérateurs ! Nous les avons attendus pendant plus de quatre ans, mais sans jamais désespérer. Enfin ce jour est arrivé. Les voilà et nous revoilà français ! »
II ne peut en dire plus. Un sanglot monte dans sa gorge et sa voix s’étrangle. Il s’efforce encore d’ajouter : « Vive la France ! » mais il ne peut y parvenir tout à fait et, sans honte ni retenue tant sa joie est immense, il laisse couler ses larmes et sanglote comme un enfant.
Témoignage
(Issu de : https://www.cirkwi.com/fr/point-interet/501891-la-liberation)
Cette adresse, où se tenait également un restaurant en 1944, joua son rôle dans la libération du village.
Jean-Jacques Miller nous raconte la libération de Petersbach en novembre 1944 :
C’était le 21 novembre 1944 vers 11 heures 30 du matin !
Alfred WEHRUNG avait remplacé mon père Ernest MILLER, enrôlé de force dans la Wehrmacht, comme secrétaire de mairie. Comme presque tous les jours, il me remit le courrier à faire signer par le Bürgermeister Fritz ZIELINGER.
Arrivé devant le restaurant, je vis Monsieur ZIELINGER devant sa porte, recevant les adieux d’un soldat allemand, le fusil en travers dans le dos et claquant des bottes sur le sol avec un bruyant « Heil HITLER ! Herr Bürgermeister ! ».
Le soldat allemand descend les marches d’escaliers, actionne son side-car et se dirige vers la Petite-Pierre alors qu’un sifflement traverse l’air devant nous et Monsieur ZIELINGER crie « Löj e mol wie der e Salto schlad » en me montrant le soldat éjecté de son side-car en bout de la rue principale !
Le temps de le dire, une espèce de char sur pneus passe devant nous, suivi d’un autre véhicule (une jeep) qui s’arrête devant le restaurant. Un soldat avec des barrettes à la boutonnière et insignes aux épaulettes descend, saute quatre à quatre les marches et salue Monsieur ZIELINGER dans un langage inconnu de ma part et les deux s’étreignent et pleurent à chaudes larmes pendant que je me fais gentiment renvoyer par eux !
Quelques jours plus tard, Monsieur ZIELINGER me donne les explications : « Le capitaine (COMPAGNON) était l’élément précurseur des troupes du Général LECLERC. Ils m’ont remercié pour les précieuses informations que je leur ai transmises quant aux déploiements et retraits des troupes allemandes et les nouvelles autorités m’ont confirmées dans mes fonctions de maire de Petersbach. ».
Dans l’après-midi, j’ai assisté depuis ma chambre à l’école, au mitraillage d’un camion allemand venant de Struth et essayant de rejoindre La Petite Pierre. Une femme et deux soldats allemands étaient tués. Les corps déposés dans l’école, ont été inhumés au cimetière communal, le femme couchée dans un cercueil.
C’étaient les premiers morts que j’ai vu…dans ma vie de petit garçon !…