Mardi 21 novembre 1944
7 ANS AVEC LECLERC
Jacques MASSU
(Extrait)
Lancés à travers les plus belles forêts de sapins des Vosges, nous n’avons pas l’esprit à admirer le paysage !
Nous ne voyons que le ravin d’un côté, la montagne de l’autre et cette route, tout en lacets, qui n’en finit pas.
Elle était alors beaucoup plus étroite et sinueuse qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Longtemps après cette équipée je frémirai encore rétrospectivement à la pensée que j’aurais pu me heurter à une coupure de cet axe, si facile à rendre infranchissable par une division blindée, et je me réveillerai brusquement la nuit tout en sueur en face du précipice…
Tout à coup, vers 15 heures, une éclaircie à travers les arbres fait apparaître, quelques centaines de mètres plus bas, la plaine d’Alsace.
Un nouveau virage en tête d’épingle nous permet d’apercevoir une galerie de mine creusée à flanc de montagne.
Tout avait été décidément bien prévu pour faire sauter la route à cet endroit vital !
Notre vitesse et l’effet de surprise ont eu raison des préparatifs.
Je suis sûr que tous les cœurs battent au rythme du mien quand nous atteignons Obersteigen, premier village de la plaine d’Alsace.
L’avant-garde, comme prévu, pousse dans la direction de Saverne jusqu’à Reinhardsmunster.
La deuxième moitié du sous-groupement traverse Birkenwald et s’arrête à Hengwiller.
En colonne filiforme et, de nuit, à toute allure malgré les phares éteints, le Groupement Tactique V, puis le sous-groupement Minjonnet nous suivent par le col du Dabo, qui aura ainsi vu passer les deux tiers de la Division.
Le regroupement du Groupement Tactique Langlade me remet aux ordres du général de Langlade qui me stoppe, alors que je ne pense qu’à poursuivre au plus vite. Mais Rouvillois, qui a effectué au nord une chevauchée et un carnage analogues aux nôtres, s’est arrêté à la Petite Pierre.
Demain, 22 novembre, il débouchera dans la plaine. Il faut l’attendre.
Quant à nous, il nous reste ce soir à goûter l’accueil passionné et grave de l’Alsace, tout en préparant l’attaque du lendemain.
De tous côtés ont surgi des drapeaux français et nous songeons au risque qu’ont couru ces villageois pour les garder cachés.
Des caves montent aussi les bouteilles dissimulées à l’ennemi.
Quelle manière plus éloquente de prouver sa joie que de trinquer avec les soldats à grands coups de quetsche, de kirsch, de schnaps.
Seuls les plus vieux parlent français… mais ce n’est pas une barrière pour la fraternisation chaleureuse, les témoignages innombrables de reconnaissance et d’amitié que nous dispensent hommes, femmes, enfants…
Il n’est pas utile de comprendre l’alsacien pour sentir le bonheur fou que nous leur apportons.
L’imprévu de notre arrivée augmente encore l’ardeur de ces « retrouvailles ».
Les Allemands, pour leur part, goûtent différemment cet effet de surprise.
La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945
La charge
.Le 21, Quiliquini repart à toute allure, direction Mittelbronn-Phalsbourg, face au centre de la position allemande, dont il a pu jauger sur les photos la solidité : elle comporte deux systèmes complets, un à hauteur de Mittelbronn, l’autre derrière Phalsbourg, chacun avec un fossé antichars continu couvert par deux réseaux de tranchées, boyaux, postes de guet, emplacements d’armes. Sur la deuxième position, l’ennemi a coulé du béton.
La charge enlève le premier système de tranchées. Les chars dévalent à contre-pente, traversent Mittelbronn, prennent sous leur feu le fossé. On peut voir encore le char Bourg-la-Reine tombé en pointe devant Phalsbourg, et, à l’ouest de Mittelbronn, au faîte du grand glacis qui offre au défenseur un si formidable champ de tir, mais qu’ils avaient tout entier traversé, les tombes de ceux du I/R.M.T., que les gens du village entretiennent pieusement.
Là fut tué le premier officier qui au début de 1943, aux confins tunisiens, s’était présenté pour la rejoindre à la colonne Leclerc arrivant du Tchad : le capitaine Boussion.
Le général Bruhn, qui commande la 553e Division de Volksgrenadiers et qui a décroché ce qu’il a pu de la région de Blamont, est hypnotisé par cette charge. Il ne songe plus qu’à garnir ses défenses et à y faire face : il doit tenir sur place, devant Saverne, et il sait ce que signifie cet ordre. Il n’aura plus la liberté d’esprit nécessaire pour regarder au nord ni au sud et il concentrera tout son matériel, qui est encore important, autour de Phalsbourg.
Au sud, on l’a vu, c’est Dabo.
Au nord, Rouvillois donne à son mouvement une ampleur accrue. Il abandonne délibérément, et d’accord avec le Général, l’axe A : par Siviller et Petersbach il se présente devant la Petite-Pierre.
Ce trajet le mène sur les arrières d’autres unités ennemies, celles qui depuis Morhange refluaient devant le XIIe Corps américain : 361e Volksgrenadiers et 11e Panzer. Le commandement allemand essaie de les rameuter, de raccrocher en hâte un dispositif au nord de Sarrebourg : Rouvillois tombe sur des artilleurs qui se mettent en batterie. Il commence son carnage qui englobe tant d’unités diverses, de services et d’Etats-Majors que notre Deuxième Bureau renonce à les démêler.
Le défilé de la Petite-Pierre, le village qui face à la France montre ses pittoresques mais difficiles escarpements, est fortement tenu. On fait donner le canon : pendant que les fusants s’étalent sur le paysage, les chars de Compagnon forcent la place. Le groupement va y passer la nuit.
Demain il repartira, débouchera au matin dans la plaine. Une pointe poussée sur Bouxwiller y fera un carnage, mais le gros s’infléchira plein sud. Encore un dur morceau à Neuviller, un convoi annihilé à Steinbourg. La pince se fermera vers le point assigné.
J.M.O. – III/R.M.T.
Mardi 21 novembre.
Tout le sous-groupement est sur roues à 8 heures, la téte à Cirey : nous devons progresser à travers les Vosges par la route de Dabo dérrèire le sous-groupement Massu du G.T.L. qui ouvre la marche.
Dane le G.T.V., le sous-groupement Cantarel nous précédé.
Le sous-groupement P. comprend la 2/501, la 10e Compagnie, un peloton de T.D. et 1 section du Génie.
Vers 10 heures 30, la colonne s’ébranle et d’une seule traite, avec des heurts certes, mais pas le moindre accroc, nous atteignons la plaine d’Alsace à la nuit tombante aprés avoir emprunté l’itinéraire Lafrimbole, Saint-Quirin, Walscheid, Bethal, Dabo, Obersteigen, Birkenwald.
Toute la route est jonchée de matériel, d’animaux, d’hommes qui, complètement surpris par l’avance foudroyante du sous-groupement Massu, ont été littéralement anéantis. C’est un désastre…
A Birkenwald, tous les sous-groupements éclatent pour constituer une tète de pont dans la plaine et conserver les débouchés de la route.
Pendant que le gros du sous-groupement (Lieutenant-Colonel Putz, Section de chars de la Bourdonnais, 10e Compagnie) tiendra Allenwiller trouvé vide d’ennemis et où nous pénétrons en touristes, un détachement aux ordres du Capitaine Troadec (C.A. et 2/501) s’installera à Singrist sur la route nationale entre Saverne et Strasbourg.
Nuit calme à Allenwiller. Par contre, les bouchons installés à Singrist feront toute la nuit un “carnage” d’Allemands qui, ignorant la situation, viennent buter sur nos postes dans lee deux directions : une dizaine d’Allemands sont tués, autant sont blessés et 8 véhicules capturéé ou détruits.
Une Francaise qui circulait en voiture avec les Allemands est faite prisonnière et envoyée au G.T.V.
Mercredi 22 novembre.
Aujourd’hui est l’anniversaire de l’entrée des troupes francaises à Strasbourg en 1918.
Nous ne pourrons sans doute pas renouveler cet exploit les armes à la main mais l’attaque pourtant semble imminente…
Vers 11 heures, une patrouille chars-infanterie commandée par le Lieutenant Carage se rend à Romanswiller où elle capture quelques prisonniers.
Elle ne dépasse pas la scierie où un certain nombre d’AlIemands se sont réfugiés. Un tir de la 32e Batterie est réglé sur la scierie.
Dans la soirée, le sous-groupement se déplace sur Singrist d“où le mouvement sera repris plus facilement.
Les renforts sont répartis entre les compagnies: malgré l’imminence de l’engagement, il n’est pas possible de les conserver en détachement.
La 11e Compagnie rejoint le sous-groupement en échange de la 10e Compagnie qui rejoint le sous-groupement Cantarel.
L’ordre d’attaque sur Strasbourg est donné par le G.T.V.
La progression aura lieu sous la forme de 3 colonnes marchant concentriquement sur la ville.
Le sous-groupement P. sera en position centrale ayant le Commandant Cantarel à sa gauche et le Commandant Debray à sa droite.
Jeudi 23 novembre.
Réveil avant le jour. Mise en place relativement laborieuse en raison de la nuit et du mauvais temps.
L’itinéraire a été débloqué en partie par des patrouilles de l’Escadron de Spahis Da.
A 7 heures, la colonne s’ébranle dans l’ordre suivant:
1er élément au commandement S.R.O. du Bataillon du Capitaine de Witasse :
Section Franjou (118 Compagnie) et
Section 2/501 Richardot
Section du Génie Melenotte
Section de la 12e Compagnie Vitrac
le P.C. et les T.D.
2ème élément au commandement du Capitaine Comte :
Section de chars La Bourdonnais (2/501)
Section d’lnfanterie Chanteux (11e Compagnie)
3ème élèment au commandement du Capitaine Troadec :
C.A. lll – 1/2 Section sanitaire
Section de chars Michard (2/501)
Vers 9 heures, la colonne arrive en vue de Honengoefft (itinéraire Jetterswiller, Zehnacker).
Les chars de tète ouvrent le feu avec succès sur des véhicules qui apparaissent sur la route.
Des coups d’anti-chars sont tirés sans succès par un ennemi placé sans doute aux lisières de Wasselonne.
Pas de casse chez nous.
L’équipage de l’AMM8 “Chantilly” dont Roger MARION – Alsace 12/1944
Source: www.parismuseescollections.paris.fr
Musée de la Libération de Paris – musée du Général Leclerc – musée Jean Moulin
La 2ème Division Blindée de Leclerc
Extrait du journal du Spahi Roger MARION (3/3/1er RMSM)
Mardi 21 novembre 1944
À 2 heures du matin, toujours phares allumés et sous la pluie, nous arrivons au carrefour du REHTHAL. Il semble que nous avons doublé le G.T.L.
Nous nous installons dans une espèce de ferme-bistrot. Le patron n’a pas l’air à l’aise avec nous. Nous nous étendons à même le plancher.
La nuit, — ce qu’il en reste,— est plutôt mouvementée: de temps à autres, nos camarades de garde ramènent des prisonniers, qui, passant de la nuit noire à la lumière, nous écrasent de leurs bottes, sans le faire exprès, il faut le reconnaître. Les réactions des dormeurs réveillés de cette façon ne sont pas appréciées des nouveaux prisonniers.
Au petit jour, un capitaine allemand est fait prisonnier: il parait qu’il venait prendre la défense du REHTHAL. Trop tard!
Raphaël ajoute une aventure de son crû: en ouvrant la porte d’une cabane de jardin derrière la maison, il y découvre deux Allemands, terrorisés, qui se cramponnent à leur fusil. Lui-même n’ayant pas d’arme sur lui, braque sa main vers eux, pouce et index tendus: “Haut les mains!”. Il revient vers nous, un fusil dans chaque main, le canon au bas du dos des deux Allemands qui lèvent les bras, pendant que Raphaël nous clame: “Hein, vous voyez: je les ai eus “au pif”.
Un escadron du 12ème Chasseurs reprend la progression devant nous en direction du DABO.
De l’un des Sherman, l’aide-pilote ouvre son couvercle pour me saluer au passage.
C’est l’ami Georges CAREME, cultivateur de MAMEY (près de PONT-À-MOUSSON), qui avait fait partie de notre expédition “espagnole” l’an dernier et qui s’était engagé à la 2ème D.B. avec son frère René (à l’E.M. du G.T.L.) et Louis BARBESANT (tireur au 1/12 R.C.A., dont j’ai déjà parlé au 12 septembre).
Nous ne savons où sont passés ces éléments du 12ème Chasseurs après DABO, car nous ne les avons par revus, après avoir pris leur suite, traversé DABO et dévalé le versant alsacien, par une route encombrée de véhicules et même de quelques cadavres.
Nous traversons BIRKENWALD sans nous y arrêter.
À DIMBSTHAL et SALENTHAL, l’accueil de la population est encore plus chaleureux que ce qu nous avons trouvé jusqu’ici.
Il est vrai que l’Alsace n’était pas seulement occupée, mais annexée, et cela depuis plus de quatre ans !
Vin blanc et schnaps coulent généreusement.
Il nous faut continuer, car la nuit ne va plus tarder.
Vers 17 heures, nous atteignons les premières maisons de SINGRIST. Pressés de couper la Nationale entre SAVERNE et STRASBOURG, nous refusons vin blanc et autres liquides (qui ne nous ont pas manqué cet après-midi): “Ya-t-il des Allemands par ici? — Pas beaucoup: ils sont plus loin sur la grand’ route, dans le village.” Au bout de cette petite route, c’est la Nationale: à 30 km, c’est STRASBOURG!
Une A.M. file à droite, en direction de STRASBOURG. Raphaël fait un remarquable carton sur un convoi allemand qui arrive tranquillement vers nous, sans se douter de notre présence.
Je tourne à gauche, entrant dans le village. La Nationale n’est pas très large. Il commence à faire sombre. Sur ma gauche, des Allemands s’affairent autour d’un chariot attelé d’un cheval. Canon et mitrailleuses sont inutilisables: à bout portant, nous risquons de recevoir nos projectiles par ricochet. Une paire de mètres nous séparent. Guy vide le reste du chargeur de sa carabine. J’extirpe deux chargeurs de mitraillette de leur sac. Debout sur mon siège, je vide le premier, puis je termine le deuxième dans l’arrière-train du cheval. Ainsi, le chariot ne pourra pas s’échapper en direction de MARMOUTIER tout proche. Côté allemand: ça ne bouge plus.
Nous descendons de l’A.M. Entre le chariot et l’A.M.: deux tués, quatre blessés et cinq prisonniers. Nous récupérons les armes. Il fait nuit maintenant. Mission accomplie: la R.N. 4 est coupée. Il nous reste à rejoindre le reste du peloton et de l’escadron à SALENTHAL (et DIMBSTHAL).
De Badonviller à Cirey sur Vezouze
Général Rouvillois
Le 17 novembre, dans un terrain parsemé de mines, d’abattis et de bourbiers dont il faut fréquemment extirper sous le feu les véhicules, le groupement de tête, Morel-Deville attaque avec fougue. “Au milieu de ses gens jetés dans la mêlée”, écrit le général Rouvillois, “Morel-Deville conjugue le culte que portent ses spahis à l’infiltration hardie, le sens qu’ont de l’abordage ses blindés, la pugnacité de ses fantassins dans les corps à corps et la mobilité des feux de ses artilleurs, dont cadres et servants ont une mentalité de volants. Profitant, à l’origine des tirs d’artillerie massifs des deux divisions US, à la jointure desquelles il livre la bataille de rupture, ce cavalier blindé crée une faille dans laquelle il se lance impétueusement avec ses seuls moyens.
Alternativement, il se déploie pour rechercher une fissure profonde, puis se recroqueville pour donner le coup de boutoir. Il encercle le réduit de Nonhigny sur la ligne d’arrêt allemande et s’en empare, puis il fait volte-face et balaie à revers les avancées de la position. Il met alors cap au sud, prend Parux et appuie le 18 au matin les éléments débouchant à sa droite de Badonvillier dont le sous-groupement La Horie s’est emparé la veille par une charge audacieuse au moment où le commandement adverse y jetait en renfort un bataillon de chasseurs. Sans laisser à l’ennemi le temps de souffler, il s’engage dans la forêt, détruit les dernières résistances.
Atteignant au crépuscule Cirey, il bondit jusqu’aux lisières nord et est de la ville et s’assure dans la nuit la possession des ponts intacts sur la Vezouze. Le lendemain 19, avec des réservoirs et des soutes à peu près vides, il marche sur Lafrimbolle, où il est stoppé par un bataillon de chasseurs s’appuyant sur des destructions.”
Le 19 au matin, Leclerc se rend à Cirey. Malgré les tirs qui continuent, il veut constater par lui-même la situation tactique de l’avant et être là “où seul le chef, informé du déroulement de la bataille et disposant de réserves, peut arracher sur-le-champ une victoire qui serait coûteuse quelques heures plus tard.” En arrivant sur place, Leclerc connaît les derniers succès des deux divisions US, qui maintiennent le rythme de leurs attaques malgré les intempéries. Leur pénétration profonde dans le dispositif adverse fait perdre à l’ennemi la liberté d’action. Il estime donc que la rupture de la ligne d’arrêt ennemie doit avoir lieu au plus tôt et que l’exploitation doit immédiatement suivre, afin de ne pas permettre à l’ennemi de se réorganiser pour diriger
une manœuvre retardatrice. “Course au cols, telle est la volonté qui doit ruisseler en cascade jusqu’au chef de patrouille. Il communiquera le même perçant à tous les exécutants qui adapteront leur manœuvre au terrain : des Vosges, deux routes escarpées plus favorables aux embouteillages qu’aux déploiements et sur le plateau lorrain, variété de chemins qui permettent des chevauchées lointaines.”
Leclerc aère son dispositif en confiant au groupement Guillebon des missions de flanc-garde agressive. Il rassemble en hâte le groupement Langlade et le lance vers le lointain carrefour de Rethal, sur deux itinéraires dont les sous-groupements Morel-Deville et Dio fouillent déjà les abords. Les patrouilles de ces deux sous-groupements livrent des renseignements et des cheminements qui réduisent le délai nécessaire à une action en force.
Lafrimbolle :
C’est dans la nuit du 19 au 20 que se joue le succès du lendemain. Au sous-groupement Minjonnet, axe ouest, les reconnaissances profondes interdisent au détachement blindé-porté allemand qui lui fait face, de s’esquiver vers le nord et de couvrir à temps le carrefour de Rethal.
Au sous-groupement Massu, sur l’axe est, des infiltrations hardies amorcent l’encerclement d’un bataillon de chasseurs qui, après une violente préparation d’artillerie, sera traité au corps à corps dans les premières heures du jour. (Le récit des combats et la percée du Sous-Groupement sera fait en détail au Monument de Lafrimbolle).
« Ça va, le Général a lâché Massu. » C’était le lendemain, vers 10 heures, la remarque laconique d’un vieux sous-officier du Tchad qui avait la prétention (justifiée) d’en remontrer à l’Etat-Major.
Le 19 au soir, rameuté à son tour, Massu avait jaugé l’obstacle ( de la Sarre Blanche). Conduits par Morel-Deville, sa grande silhouette, ses traits un peu fermés, avares de paroles (son travail se fait en dedans), avaient remonté la colonne. Le feu s’était fait de plus en plus nourri. A l’A.M. de tête son adjoint, le capitaine Lucien, avait été touché.
La barrière ne pouvait décidément être abordée de front. Une attaque en règle était montée le 20 au matin. Appuyées par toute l’artillerie du groupement, deux compagnies entières manœuvreront en
passant à travers bois pour rejoindre la route 2 kilomètres plus loin, au pont même de la Sarre. La tâche est dure et les Jäger coriaces. Mais, pendant que le canon donne à plein, les fantassins du Tchad y vont avec leur activité et leur résolution coutumières : la machine est bien rodée, peu d’ordre sont nécessaires ; les Jäger et leur bel équipement tombent par paquets, puis se disloquent. A 9 h. 30
la route est ouverte. La colonne s’y engouffre.
Rethal
Et sur-le-champ, c’est l’exploitation. Ce passage de la rupture à la poursuite”, “impose une adaptation immédiate du dispositif à une conjoncture favorable mais fugitive. Les difficultés sont multiples : enchevêtrement d’unités éprouvées, destructions et abattis renforcés par des véhicules en flammes auprès desquels quelques isolés persistent à faire le coup de feu. Il est impératif de prendre l’ennemi de vitesse, ce n’est pas une question d’heures mais de minutes pour que le repli ennemi se transforme en déroute, la retraite en débâcle, parce que les cadres adverses harcelés, débordés, épuisés, perdent toute notion d’anticipation et, en particulier le réflexe de bondir à temps sur les points de décrochage préparés autour desquels ils pourraient se rétablir.” Vingt-cinq kilomètres sont ainsi parcourus sans arrêts et le carrefour de Rethal est occupé au crépuscule du 20 Novembre.
De Dabo à Obersteigen : ( Source document Fondation MLH )
Le 21 au petit jour, le mouvement reprend, Massu en tête, suivi par tout le groupement de Guillebon. Minjonnet passera ensuite, et le groupement Langlade, séparé ainsi en deux tronçons, ne se recollera que dans la plaine.
Le pont d’Hazelbourg, les défenses de Dabo sont vides (nous trouverons à Saverne l’ordre de les garnir d’urgence), Dabo même est atteint après un petit combat. Une batterie de 88 qui retraite a cependant barré la route à la sortie de la clairière : les deux heures de répit que lui laisse le dégagement des arbres vont-ils lui permettre d’esquisser une parade, ou au moins de mettre en œuvre les destructions qui risquent de retarder considérablement la descente ?
La petite chapelle papale qui a vu sur cette route les moyenâgeuses vicissitudes des évêques et des comtes domine de son assise rocheuse le groupe de sapeurs qui scient les grands sapins couchés et qui en mettent un coup, je vous le jure. D’un geste de sa canne, Massu remet la colonne en marche vers l’Alsace.
Et, l’après-midi, les nouvelles s’échelonnent. La colonne filiforme descend encore 20 kilomètres de raides lacets dans la forêt, débouche et s’étale aux premières clairières sur la plaine (Obersteigen). Birkenwald, Reinhardsmunster, Dimbsthal, Allenwiller. A Singrist, elle coupe la grande route entre Marmoutier et Wasselonne, où de nombreuses voitures militaires qui circulent, l’esprit en repos, tous phares allumés, viendront buter et se faire massacrer à nos bouchons. La défense allemande se renferme entre les murs qui ont sur place leur garnison; ailleurs, les villages alsaciens retrouvant les nôtres s’essaient à reparler leur français. Et parce que le vocabulaire est rare, que les mêmes mots sont répétés, cette rencontre garde un air grave. Elle en est plus dense de tout ce qui n’est pas exprimé, plus solide derrière la pudeur des gestes inachevés. Et les premiers quartiers sont pris dans toute l’austérité de la guerre.