REUTENBOURG
Mercredi 22 novembre 1944
” M7 “URANUS” – XI-64e RADB
MARMOUTIER, 22 NOVEMBRE 1944
Ayant remplacé au pied levé le Lt-colonel de La Horie tué à Badonviller, le commandant Debray progresse à la tête du sous-groupement « H » derrière le sous-groupement Massu durant la journée du 21 novembre, en empruntant la petite route de Dabo.
Les chars peinent mais parviennent au col du Valsberg.
La colonne ininterrompue poursuit sa descente dans la nuit, tous phares éteints, sur l’Alsace.
Vers 21h, les Vosges sont franchies par le sous-groupement.
Le 22 novembre, ordre est donné de prendre Marmoutier.
Ce jour-là, la commune où se trouve un noyau ennemi solide est atteinte à 9h.
Les spahis précédent les chars et les fantassins qui investissent la ville et chassent les Allemands.
Marmoutier réserve à ses libérateurs un accueil inoubliable.
Vers 18h, le commandant Debray, en présence du maire, rebaptise la place Adolf Hitler en « Place Colonel de la Horie ».
À 20h, au PC installé à l’hôtel de ville, Debray revient du QG de Leclerc à Birkenwald avec l’ordre d’opérations pour l’attaque vers Strasbourg.
GUIDE VERT LA VOIE DE LA 2 e DB
XI – 64 R.A.D.B.
21 novembre :
_ Le G.T.V. s’engouffre sur les talons du G.T.L.
Sur la route du Dabo. Le XI/64 est fractionné en P.C., reconnaissance, batteries.
Itinéraires : Cirey, La Frimbolle, Saint-Quirin, Weheib, Hazelbourg, Dabo, Obersteigen, Birkenwald où s”’nstalle le G.T.V. avec le sous-groupement Debray.
Le sous-groupement Putz est à Singrist et Allenwiller.
Le sous-groupement Cantarel à Dimbsthal,
L’E.M. XI/64 bivouaque la nuit sur la route entre Birkenwall et Dimbsthal.
Les batteries ont passé le col du Dabo dans l’obscurité de la nuit et dans le brouillard.
LA RUÉE VERS STRASBOURG
22 novembre :
Le P.C. opération et P.C.T. s”installent aux positions de batteries.
L’observatoire de la 32e est dans le clocher de Altenviller, celui de la 33e à Singrist.
La 31e appuie le groupement Dâ vers Marmoutier et Reutenbourg.
Le groupe, mis en position dans la région sud-est de Dimbsthal, est prêt à 8 heures.
De nombreux tirs à vue sont déclenchés.
La 31e fait 40 prisonniers.
Dans l’après-midi, le P.C. est à Salenthal, le P.C.T. avec les batteries qui se replient sur Hengwiller, l’observatoire 33e est à Marmoutier.
A 21h30, parvient l”ordre de « foncer sur Strasbourg ›› le lendemain matin.
ITINERAIRES :
Le G.T.V. doit progresser sur les axes Nord, Sud et Centre.
Plus au Nord deux axes, Rouvillois et Massu.
Axe Nord : Sous-groupement Cantarel (plus une batterie U.S.) : Dimbsthal, Marmoutier, Lochwiller, Landersheim, Woellenheim, 500 mètres sud de Durningen, Kleinfrenkenheim, C. 193, Wiwersheim, Offenheim, Stutzheim, C. 925, 011, C. 1971, Koenigshoffen, sud de Strasbourg.
Axe Centre : Sous-groupement Putz : Singrist, Jetterswiller, Zehnacker, Hohengoeft, C. 211, Willgotteim, Neugartheim, Schnersheim, nord-est de Fasseiheim, Quatzenheim, Hurtigheim, Ittenheim, C. cote 165, Oberschaffolsheim, Eckbolsheim, Rœthing, Neudorf, Pont de Khel.
Axe Sud : Sous-groupement Debray : même axe que le centre jusqu’à Ittenheim puis Bruschwig, Kerseim, Hangenbieten, Holtzeim, Illkirch, La Colonne Neudorff, Khel.
Extrait de : La 2ème Division Blindée de Leclerc
R.M.S.M.
Spahi Roger MARION (3/3/1er RMSM)
Lundi 20 novembre 1944
À 8 heures, nous quittons CIREY pour BERTRAMBOIS.
Georges PICOT remplace René jusqu’à son retour, mais comment pourra-t-il nous rejoindre?
Le soir, Bernard, fou de joie, nous annonce: “En route pour STRASBOURG!”
À 22 heures, nous nous élançons sur la route déjà ouverte par le G.T.L. Il pleut, et nous roulons tous phares allumés.
Depuis le matin, le G.T.L. fonce sur les routes de la forêt vosgienne, libérant LAFRIMBOLLE, SAINT-MICHEL, SAINT-QUIRIN, ABRESCHVILLER, VOYER, HARTZVILLER.
Çà et là, des véhicules allemands détruits ou abandonnés.
Mardi 21 novembre 1944
À 2 heures du matin, toujours phares allumés et sous la pluie, nous arrivons au carrefour du REHTHAL. Il semble que nous avons doublé le G.T.L.
Nous nous installons dans une espèce de ferme-bistrot. Le patron n’a pas l’air à l’aise avec nous. Nous nous étendons à même le plancher.
La nuit, — ce qu’il en reste,— est plutôt mouvementée: de temps à autres, nos camarades de garde ramènent des prisonniers, qui, passant de la nuit noire à la lumière, nous écrasent de leurs bottes, sans le faire exprès, il faut le reconnaître. Les réactions des dormeurs réveillés de cette façon ne sont pas appréciées des nouveaux prisonniers.
Au petit jour, un capitaine allemand est fait prisonnier: il parait qu’il venait prendre la défense du REHTHAL. Trop tard!
Raphaël ajoute une aventure de son crû: en ouvrant la porte d’une cabane de jardin derrière la maison, il y découvre deux Allemands, terrorisés, qui se cramponnent à leur fusil. Lui-même n’ayant pas d’arme sur lui, braque sa main vers eux, pouce et index tendus: “Haut les mains!”. Il revient vers nous, un fusil dans chaque main, le canon au bas du dos des deux Allemands qui lèvent les bras, pendant que Raphaël nous clame: “Hein, vous voyez: je les ai eus “au pif”.
Un escadron du 12ème Chasseurs reprend la progression devant nous en direction du DABO. De l’un des Sherman, l’aide-pilote ouvre son couvercle pour me saluer au passage. C’est l’ami Georges CAREME, cultivateur de MAMEY (près de PONT-À-MOUSSON), qui avait fait partie de notre expédition “espagnole” l’an dernier et qui s’était engagé à la 2ème D.B. avec son frère René (à l’E.M. du G.T.L.) et Louis BARBESANT (tireur au 1/12 R.C.A., dont j’ai déjà parlé au 12 septembre).
Nous ne savons où sont passés ces éléments du 12ème Chasseurs après DABO, car nous ne les avons par revus, après avoir pris leur suite, traversé DABO et dévalé le versant alsacien, par une route encombrée de véhicules et même de quelques cadavres.
Nous traversons BIRKENWALD sans nous y arrêter.
À DIMBSTHAL et SALENTHAL, l’accueil de la population est encore plus chaleureux que ce qu nous avons trouvé jusqu’ici. Il est vrai que l’Alsace n’était pas seulement occupée, mais annexée, et cela depuis plus de quatre ans!
Vin blanc et schnaps coulent généreusement.
Il nous faut continuer, car la nuit ne va plus tarder.
Vers 17 heures, nous atteignons les premières maisons de SINGRIST. Pressés de couper la Nationale entre SAVERNE et STRASBOURG, nous refusons vin blanc et autres liquides (qui ne nous ont pas manqué cet après-midi): “Ya-t-il des Allemands par ici? — Pas beaucoup: ils sont plus loin sur la grand’ route, dans le village.” Au bout de cette petite route, c’est la Nationale: à 30 km, c’est STRASBOURG !
Une A.M. file à droite, en direction de STRASBOURG. Raphaël fait un remarquable carton sur un convoi allemand qui arrive tranquillement vers nous, sans se douter de notre présence.
Je tourne à gauche, entrant dans le village. La Nationale n’est pas très large. Il commence à faire sombre. Sur ma gauche, des Allemands s’affairent autour d’un chariot attelé d’un cheval. Canon et mitrailleuses sont inutilisables: à bout portant, nous risquons de recevoir nos projectiles par ricochet. Une paire de mètres nous séparent. Guy vide le reste du chargeur de sa carabine. J’extirpe deux chargeurs de mitraillette de leur sac. Debout sur mon siège, je vide le premier, puis je termine le deuxième dans l’arrière-train du cheval. Ainsi, le chariot ne pourra pas s’échapper en direction de MARMOUTIER tout proche. Côté allemand: ça ne bouge plus.
Nous descendons de l’A.M. Entre le chariot et l’A.M.: deux tués, quatre blessés et cinq prisonniers. Nous récupérons les armes. Il fait nuit maintenant. Mission accomplie: la R.N. 4 est coupée. Il nous reste à rejoindre le reste du peloton et de l’escadron à SALENTHAL (et DIMBSTHAL). Mais SINGRIST n’est pas abandonnée: dans son ouvrage “Quand j’étais Rochambelle”, page 213, Madame MASSU mentionne “la nuit de SINGRIST”: Marie-Thérèse et Marie-Anne se trouvent avec un détachement d’artillerie arrivé après notre départ.
24 ans plus tard, en novembre 1968, au cours d’un arrêt casse-croûte au café-épicerie LUX, à l’entrée de SINGRIST quand on vient de MARMOUTIER, j’apprends que les Allemands étaient revenus peu après notre départ. Découvrant leurs deux tués et leurs blessés, ils ont vite compris que ce n’était pas le fait de la population. Il manquait aussi les prisonniers que nous avions emmenés.
On peut imaginer la surprise des Allemands qui nous croyaient encore de l’autre côté des Vosges. Ils n’insistent pas à SINGRIST et laissent la place à des éléments du G.T.V., dont parle Madame MASSU, ce qui n’empêche pas d’autres Allemands de se faire piéger.
Mais, en même temps, j’apprends qu’une jeune fille du village s’était trouvée dans l’axe de ma mitraillette (j’avais été le seul à utiliser cette arme). À la lettre que je lui avais alors adressée, voici sa réponse du 3 décembre 1968:
«Je vous remercie de votre gentille lettre qui m’a très émue, car je l’ai eue le 21 novembre, anniversaire de la libération de notre village. Je n’ai pas été trop surprise puisque Madame LUX m’avait déjà renseignée sur votre intention de m’écrire. Votre lettre a été comme un rappel du passé, comme un film ces jours angoissants sont passés devant mes yeux.
Le soir de ce 21 novembre 1944, je sortais de l’épicerie LUX où j’avais encore fait quelques emplettes, vers 17 heures. Je m’attardais avec quelques jeunes à discuter de la libération prochaine, car un disait que les Français n’étaient plus qu’à quelque kilomètres. À peine avions-nous commencé à causer que déjà l’un de nous criait: “Les voilà!” et déjà la fusillade commençait. Nous, adolescents de 15 et 16 ans, inconscients du danger, restions imprudemment plantés sur le bord de la route. Quand le cheval avec le chariot arrive sur nous, nous nous mîmes à courir et c’est alors qu’une balle perdue entra dans mon genou directement entre l’articulation du fémur avec le tibia. Le lendemain, une ambulance m’emmena à l’hôpital du camp américain de VINCEY près de CHARMES dans les Vosges. C’est là que je fus opérée et après 8 jours, on me transporta à l’hôpital civil d’ÉPINAL, d’où mes parents après 9 semaines me ramenèrent à SINGRIST. Deux années durant, je dus encore me faire soigner par un médecin. C’est à peu près mon histoire de guerre.
Je n’aurais jamais cru que j’allais, après tant d’années, faire la connaissance d’un des premiers libérateurs de SINGRIST. Je me ferai un plaisir de vous accueillir dans ma famille.
En 1969, ayant écrit à Lina mon intention de venir, des F.F.A. (où j’étais aumônier militaire) pour participer aux cérémonies du 25ème anniversaire de la libération de l’Alsace et de STRASBOURG, j’ai reçu cette invitation: “Avec ou sans mitraillette, vous êtes le bienvenu chez nous”.
J’y ai répondu, sans mitraillette évidemment.
Le 21 novembre 1969, dans l’après-midi, j’arrive à SINGRIST. Rues décorées. Des E.B.R.! [Engin Blindé de Reconnaissance] J’ignorais que notre ami François JARDEL avait mis sur pied une expédition depuis PARIS avec le feu de la flamme du Soldat Inconnu pour refaire l’itinéraire de 1944 avec ces E.B.R. et un groupe d’anciens conduit par le Général GRIBIUS.
Édouard, le mari de Lina, m’accueille: “Vos amis vous attendent à la mairie”. Un vin d’honneur est déjà commencé. Je retrouve tout un tas d’amis.
Le détachement d’anciens est attendu à MARMOUTIER. Avant de m’y rendre, je vais faire connaissance avec ma “victime”. Rapidement; je reviendrai après les cérémonies de MARMOUTIER. J’emmène Édouard avec moi. Nous sympathisons tout de suite. Nous sommes du même âge. Comme beaucoup d’Alsaciens de notre génération, il a été embarqué par les Allemands et a dû servir sous l’uniforme feldgrau. Heureusement, il en est revenu, il a épousé Lina et ils ont trois enfants.
Après MARMOUTIER, retour chez la famille ZAHNBRECHER: j’ai revu “ma” balle de mitraillette sur les radios que Lina a conservées!
Depuis 1969, c’est toujours un accueil familial que je trouve au 17 de la rue du 21 novembre. Le 3ème peloton s’en est rendu compte le 24 novembre 1984.
… Le 3 avril 1985, leur fille Dominique m’apprenait la mort du Papa Édouard!
Revenons au mercredi 22 novembre 1944 .
Les Alsaciens n’ont pas ménagé schnaps et vin blanc. Malgré une garde de 2 à 4 heures du matin, lever à 7 heures et nous quittons SALENTHAL. DIMBSTHAL. Le calme de MARMOUTIER nous rend prudents. Nous nous faufilons dans les rues étroites et nous arrivons sur la place. Le moment serait mal choisi d’admirer la belle église abbatiale à notre droite, car, sur notre gauche, un antichar de 50 nous attend et, d’un obus explosif, démolit la roue gauche avant de l’A.M. conduite par “Papa” WION qui venait de passer devant nous. Telles les oies du Capitole, les oies de SAINTE-POLE (voir au 17 novembre) poussent des cris sur la plage arrière. Sans perdre son sang-froid, le chef d’A.M., depuis la tourelle calme les volatiles. C’est BANBAN (MASSON d’AUTHUME) qui remplace Jean BEYLER.
Le 50 continue à tirer pendant que Papa essaye de sortir de l’axe de tir et que des éléments du peloton font la patrouille à pied.
Un perforant traverse le vantail gauche de la porte d’entrée de l’église. Nous verrons ensuite qu’il a terminé sa course à la hauteur de la chaire à prêcher, après avoir traversé tous les bancs sur son passage.
Jacques GUYON, engagé avec nous après PARIS, est sérieusement blessé à la main par l’éclat d’un des obus de cet antichar.
Petit à petit, les Allemands se font sortir des maisons et se rendent.
Le nettoyage de cette petite ville terminé, P’tit Louis, grimpé sur la tourelle de l’A.M., muni de je ne sais quelle arme blanche, arrache la pancarte “Adolf Hitler Platz” qui indiquait la place de l’église.
Je récupère une paire de bottes en excellent état qui remplace mes chaussures américaines un peu fatiguées.
Vers 16 heures, au cours d’une petite cérémonie “militaire” nous rebaptisons cette place: “Place Colonel de la HORIE”. Évidemment, nous n’étions nullement qualifiés pour prendre cette décision. La municipalité a dédié cette place au Général de GAULLE, et a donné à l’une des rues le nom de notre chef tué 4 jours plus tôt aux CARRIÈRES de BADONVILLER.
Il est curieux de constater comment la relation de certains évènements se trouve déformé avec les années. À l’occasion du 25ème anniversaire de la libération, MARMOUTIER a très bien accueilli le petit détachement conduit par le Général GRIBIUS. Parmi les cérémonies, une prière d’action de grâces à l’église. Après avoir apprécié les orgues de Silbermann, nous entendons Monsieur le Curé SCHMIDT saluer les premiers soldats qui ont libéré MARMOUTIER, en limitant la casse. Mais nous apprenons que l’obus qui était entré dans l’église avait été envoyé par nous! En sortant, le Général GRIBIUS me dit plaisamment: “Ainsi, vous envoyez une balle de mitraillette dans le genou d’une jeune fille à SINGRIST. Le lendemain, vous envoyez un obus dans l’église de MARMOUTIER. Vous avez eu raison d’entrer dans les ordres pour expier vos méfaits!”. À quoi je lui ai répondu: “La balle de mitraillette, d’accord; mais l’obus d’ici a été envoyé par un antichar allemand. Ce que vous allez constater, puisque Monsieur le Curé vient de dire que le menuisier qui a fait les réparations a remis l’obus, retrouvé sous la chaire, dans le trou qu’il avait fait dans la porte.”
En effet, quand nous sortons de l’église, nous pouvons admirer l’obus replacé dans le vantail: le Général n’a pas eu besoin d’un pied à coulisse pour constater qu’il s’agissait d’un 50 et non d’un 37 de notre A.M.
Monsieur le Curé n’avait fait que transmettre ce qu’il avait entendu au sujet de la libération. La vérité historique a été rétablie au vin d’honneur qui a suivi à l’Hôtel de Ville. Les anciens de MARMOUTIER qui avaient vécu le 22 novembre 1944 pensaient que les Allemands n’ayant pas de char, — ce qui était vrai, — l’obus ne pouvait venir que de nos blindés. Depuis les fenêtres de la Mairie, je leur ai montré où était l’antichar. La légende a-t-elle pris fin?
Jeudi 23 novembre 1944
À 7 heures du matin, en route pour STRASBOURG.
Le temps est couvert.
Notre axe est légérement au nord de la R.N. 4.
De MARMOUTIER, nous nous dirigeons sur LOCHWILLER, MAENNOLSHEIM, LANDERSHEIM, WOELLENHEIM, ROHR, GOUGENHEIM, DURNINGEN, KLEINFRANKENHEIM, WIWERSHEIM, STUTZHEIM.
Nettoyage de ces villages sans trop nous attarder à faire des prisonniers. Nous n’avons même pas à nous servir de nos armes.
Il m’arrive, dans une ferme, de boire un bol de café préparé pour un Allemand qui n’en a pas eu le temps avant de lever les bras.
À STUTZHEIM, il est 9 heures et quart et nous ne sommes plus qu’à 9 km de STRASBOURG, dont on devine la flèche dans la brume. L’émotion est grande. Qu’est-ce que celà doit être pour le Général et les anciens de KOUFRA?
Un souvenir d’enfance me revient: au cours d’une visite de la cathédrale de STRASBOURG, il y a une dizaine d’années, mon père, avec raison, n’avait pas apprécié mes talents d’équilibriste inconscient sur la ballustrade de la plate-forme. Elle n’a pourtant que 66 mètres de haut. Ce 23 novembre 1944, à 14 heures, Maurice LEBRUN, du 5ème Escadron du 1er R.M.S.M., hissera le drapeau français sur la flèche, à 142 mètres!
À noter au passage, que ce n’est pas un du Tchad comme l’écrit le Général VÉZINET, page 174, article sur le Régiment de Marche du Tchad, dans le volume “La 2ème D.B. Général Leclerc en France, combats et combattants” qui nous a été offert en fin de campagne (achevé d’imprimer en juin 1945).
Dans le numéro 249 du 7ème trimestre 1984, page 41, la “Revue de la France Libre” rétablit la vérité.
De STUTZHEIM, nous sommes dirigés vers le Sud: HURTIGHEIM. Nous traversons la R.N. 4 à ITTENHEIM pour arriver à BREUSCHWICKERSHEIM. Dans un tournant, l’A.M. se trouve nez-à-nez avec un tramway rempli de soldats allemands qui n’ont pas l’air de nous attendre. Un vieil alsacien saute de joie, en se désarticulant comme un pantin: “Les Vrançais! V!là les Vrançais!”. Nous ne pouvons nous charger de cette cargaison et des autres Allemands qui sortent d’un peu partout.
Nous laisson ACHENHEIM à notre droite. À OBERSCHAEFFOLSHEIM, l’ordre nous est donné d’arrêter. Le commandement a certainement ses raisons. Les forts qui ceinturent STRASBOURG sont encore défendus.
Enfin, vers 15 heures, en route pour la dernière charge.
Brusquement, un tir part de notre droite. C’est le fort Kléber. Nous voyons les traceuses nous passer devant le nez. Et voici que mon moteur cale. Je continue au point-mort pour ne pas rester dans l’axe de tir. Arrêt. Je ne vois aucun impact qui aurait pu atteindre le moteur. C’est tout simplement l’arrivée d’essence qui s’est bouchée à un mauvais moment, comme à LONGJUMEAU.
Pendant que je nettoie filtre, carburateur et tuyauterie, le reste du peloton continue, et fonce sur STRASBOURG.
Un quart d’heure après, au moment de reprendre la route, P’tit Louis a disparu. Nous savons qu’il se débrouillera pour nous rejoindre. Je double toute une colonne, à plus de 60 miles, le pouce sur le bouton de la sirène. Les Alsaciens nous acclament, mais dégagent la route. KOENIGSHOFFEN est traversée. Nous sommes dans STRASBOURG.
Après le pont du chemin de fer, un peloton de l’escadron s’est dirigé vers la gare. Nous retrouvons le peloton Boulevard de Lyon. P’tit Louis est là: nous avons bien fait de ne pas l’attendre! Il est là et “en forme”: “Roger, nous sommes à STRASBOURG. Tu n’as plus besoin de conduire. Prends ma place dans la tourelle. Je veux aller voir ce qui se passe dans cette foutue caserne”. Inutile de le retenir. Armé d’une épée récupérée on ne sait trop où, stimulé par le vin blanc et le schnaps, P’tit Louis arrive à grimper après le mur de cette caserne et s’engouffre dans une fenêtre pourtant haute. Il disparait à l’intérieur. Ce n’est qu’après un long moment qu’il réapparait, nous expliquant qu’il avait mis un point final à la garde d’une sentinelle allemande.
Sur le pont Pasteur, tout proche, des chars du G.T. sont mal en point. Le secteur se calme en fin d’après-midi.
Nous commencons alors à patrouiller dans la caserne de droite (caserne des Gardes Mobiles), caserne occupée avant notre arrivée par la Polizei, certains disaient même par des S.S. Le bâtiment que nous fouillons servait de logement à des familles, logements très bien meublés. Les “locataires” ont dû partir précipitamment, car les armoires sont remplies de linge, d’habillement, et le ravitaillement ne manque pas; si nous restons ici, celà nous changera des boites de “beans” et autres denrées américaines.
Au cours de la fouille d’un appartement, j’entends frapper à la porte d’entrée. C’est un civil, d’une quarantaine d’années. Je lui demande ce qu’il vient faire: tout naïvement, il m’explique qu’il habitait ici et me demande s’il pourrait rentrer chez lui. Je le conduis à notre capitaine. Je crois que c’est le seul prisonnier qui ait été fait dans ce bâtiment, prisonnier qui n’avait pas l’air bien méchant et que j’ai retrouvé, au cours d’une garde de nuit, dans une cave, où il était en piteux état.
Le soir, nous sommes reçus dans une famille J. SPEICHER, au 14 de la rue de Saales que les Allemands avaint baptisée Hafenwalstraße, et qui ne tardera pas à retrouver son nom. STRASBOURG est libérée.
REUTENBOURG