Lundi 11 septembre – Jeudi 14 septembre 1944
www.2eDB-LECLERC.fr / BATAILLE de DOMPAIRE
LE RÉGIMENT BLINDE DE FUSILIERS MARINS
R.B.F.M.
UNE JOURNÉE DE COMBAT AVEC LES DESTROYERS CHASSEURS DE CHARS
IL y a des fusiliers marins, à la Division Leclerc; et les Parisiens ont pu les voir, coiffés de leur bonnet à pompon rouge, arriver les premiers place de l’Etoile sur les tanks qu’ils montaient.
Ils ont repris la vieille tradition des combats à terre, et cette fois ils servent un matériel qui leur permet de mettre en valeur toutes leurs qualités de marins.
Leurs chars, les tanks-destroyers, sont d’un type spécial.
Avec leurs canons sous tourelles, leurs puissants moteurs Diesel et les nombreux instruments de bord nécessaires à la conduite et au tir, ils s’apparentent de très près au matériel des vaisseaux de guerre et exigent des aptitudes pour lesquelles la marine a de tout temps formé ses hommes.
Canonniers des tourelles de croiseurs, mécaniciens des Diesel des sous-marins, tous se sont trouvés dans leur élément, et naturellement ils ont fait équipage.
Au combat ils sont magnifiques, leur cran et leur ardeur sont légendaires dans la Division.
Dignes successeurs des héros de Dixmude, ne portent-ils pas comme eux la fourragère rouge de la Légion d’honneur, l’insigne des braves entre tous ?
Leurs faits d’armes ne se comptent plus.
C’est, à Enghien, au lendemain de la libération de Paris, un aspirant et quatre marins montés sur deux Jeeps qui tiennent en respect pendant deux heures quatre chars allemands et une compagnie d’infanterie revenus dans la ville en expédition punitive.
En Lorraine, un destroyer tombe en panne au cours d’une patrouille hardie à 13 kilomètres à l’intérieur des lignes ennemies.
Il y a là un sous-officier et quelques hommes.
Fidèles aux traditions de la Marine, ils n’abandonnent pas leur char, ils se barricadent dans le village et attendent, prêts à vendre chèrement leur vie.
Pas d’Allemands en vue. Croyez-vous que les marins vont rester cachés en attendant l’arrivée des secours ? Le premier jour, passe encore, mais le deuxième ils partent en reconnaissance, armés de leurs mitraillettes. Ils font prisonniers 20 Allemands et capturent leurs 20 bicyclettes.
Le lendemain ils s’emparent d’une auto, d’un canon et de 20 chevaux et c’est montés sur leurs chevaux qu’ils recevront quelques jours plus tard le détachement envoyé pour les délivrer.
Ces hommes qui ont assisté la rage au cœur à l’impuissance de la Marine se sont tous portés volontaires quand il a fallu combattre à terre : ce fut le bataillon des fusiliers marins de Tunisie. Il prit part au début de l’année 1943 à la libération de la Régence au côté des troupes africaines et des corps francs. Alors, les marins combattaient à pied, le ravitaillement suivait à dos de mulet. Dure école, mais bonne école, c’est ce bataillon qui a donné naissance au Régiment blindé de Fusiliers Marins.
Dans la guerre des blindés, les marins ont maintenant un rôle de choix.
Seuls les tanks-destroyers peuvent traverser avec leurs obus de 76,2 les épaisses cuirasses des chars lourds allemands Tigre ou Panther et c’est pourquoi on les a baptisés « Chasseurs de Chars ».
Les destroyers manœuvrent par groupe de quatre formant un peloton sous les ordres d’un enseigne de vaisseau. On les voit partout où il y a un coup dur à donner. Les combats de chars sont gros de risques pour les destroyers : les Tigre font 65 tonnes, les Panther 45, les destroyers à peine 27. C’est dire qu’on a tout sacrifié à la vitesse et à l’armement. Pas de blindage ou presque.
N’importe, les marins ont confiance en eux. Leur vitesse, la précision de leur tir, la sûreté de leur coup d’œil ont toujours triomphé de la puissance colossale des lourdes mécaniques teutonnes. Partout ils se sont imposés aux Allemands.
Depuis la Normandie ils ont détruit plus de 60 chars ennemis; eux, ils n’ont pas perdu 10 destroyers.
Et maintenant je vous invite à passer une journée avec mon peloton.
Vous êtes au 13 septembre, devant Damas et Dompaire : si vous voulez savoir comment, lisez la première partie du bouquin.
Moi je suis chargé seulement de vous faire sonner le réveil.
Un réveil plein de promesses. – – 6 heures ! Frileusement quartiers-maîtres et marins sortent de leurs couvertures en frissonnant dans la nuit. Depuis hier au soir un incessant roulement monte en grondant du fond de la vallée, là, à quelques kilomètres à peine. Pas de doute, ce sont des chars, et des «lourds», qui passent sur la route d’Epinal, profitant de la nuit pour nous narguer. A voix basse les hommes s’entretiennent, accroupis autour du jus qui chauffe… Ces bruits de chars, c’est peut-être un baroud qui se prépare, un beau baroud ou les Panzer ne rompront pas le combat; en Normandie toujours ils s’enfuyaient dans les bois après avoir tiré quelques coups à peine. Ici on va peut-être en découdre, enfin…
A cette pensée la joie éclate, les visages s’éclairent, nous avons dans nos bottes deux jours de marches forcées et il n’y a pas une semaine que nous avons quitté Paris, qu’importé! Déjà, sortant leurs harmonicas de leurs poches, Bretons et Mokos attaquent de joyeux airs qui réveillent les derniers dormeurs… Des valses d’abord, valses-musettes que l’on dansait dans les faubourgs avec les filles en robes légères, une fois fait le coup de feu…
Dans le lointain continue, obsédant, le sourd roulement des chars allemands. Que faire ? La nuit est profonde encore : dans les lunettes des destroyers, les canonniers ne distinguent pas un arbre à 100 mètres. Officiers, officiers mariniers, marins, on ne peut plus tenir en place. Quoi, tous ces chars défileraient à quelques milles sans qu’on tente quoi que ce soit pour les anéantir ? Bretons têtus, ils se révoltent. Il fait nuit, eh bien, qu’importé ! fils de corsaires, leur instinct les emporte, on appareille…
Patrouille à l’aube. — Sur le plateau le camp s’éveille à peine lorsque le peloton démarre. Les tanks-destroyers roulent en ligne de file sur la route poudreuse ; en pointe et aux ailes à travers champs, les Jeeps légères bondissent de bosquet en bosquet, de crête en crête pour protéger la marche majestueuse des quatre gros chars, comme à la mer les torpilleurs aux fines coques protègent par leurs gracieuses évolutions les cuirassés ventrus.
Mais voici la crête, la dernière du plateau, celle d’où l’on surplombe la route d’Epinal. Un ordre, le peloton «éclate », les destroyers viennent doucement en ligne de front prendre position « à défilement de tourelle ». Les Jeeps, elles, s’en vont à droite, à gauche, fouiller les bois et les haies.
Sept coups de cloche s’égrènent dans le matin, sortant des profondeurs de la nuit, la petite vallée nous livre peu à peu ses secrets : là-bas, entre deux rideaux d’arbres, serpente la route d’Epinal, mince traînée grise au milieu de l’ombre des champs et des haies; blottis entre les bosquets encore enténébrés, le clocher de Dompaire, à gauche, les toits rouges de Damas, à droite, sortent lentement de la nuit. Tapis à l’affût à une centaine de mètres les uns des autres, les destroyers dardent leurs yeux sur la route, sur les bois, sur tout ce qui pourrait cacher un ennemi. Tous veillent, radio, conducteurs, chargeurs : mais les yeux des chars, ce sont les tireurs, tous pointeurs chevronnés de la Marine, réputés pour leur vue perçante et la sûreté de leur coup d’œil. Les chefs de chars, eux, sont dressés debout sur leurs tourelles et fouillent l’horizon avec leurs jumelles.
Rien en vue, hélas ! le silence a de nouveau envahi la vallée. Bourrasque et Ouragan, à droite, Orage et Tempête, à gauche, rageusement continuent à veiller. Jadis ils ont veillé pendant des quarts interminables, ces rudes marins, dans les embruns ou le crachin… Ici le soleil en se levant anime les choses de teintes douces et humaines.
Premier contact. – – Une Jeep revient en trombe. « Venez vite, il y a un beau carton à faire », dit le second-maître Bediot avec son air lointain et son calme habituel; et chacun sait que, télémétriste sur de nombreux navires, sa vue est infaillible.
Déjà la Tempête est en route, conduite par Bediot et précédée par l’aspirant Sartre, «l’Aspi», comme disent les hommes entre eux. Doucement, elle s’approche de la crête et tout à coup stoppe. A 800 mètres à peine, montant sur le flanc des destroyers à la faveur des haies et de l’ombre, on distingue à^ peine la masse ventrue d’un Panther, notre ennemi n° i.
«Hausse 900, dérive 2, i perforant», clame le chef de char. Un claquement sec déchire l’air, le combat est engagé. L’Allemand, surpris, stoppe, un deuxième coup le frappe de plein fouet; il essaie de faire marche arrière, trop tard, le troisième coup le met en flammes.
A cet instant plusieurs coups éclatent à notre droite, qui encadrent la Tempête. Un second Panther, camouflé dans un bois à 300 mètres de nous, vient d’ouvrir le feu, il manque la Tempête, qui s’est remise en route, et, ne pouvant faire mieux, arrose avec des obus explosifs les Jeeps et les marins qui ont mis pied à terre. L’Aspi est blessé, il faut l’évacuer.
Mais l’Orage a bondi à la rescousse, deux coups claquent et le Panther, touché à mort, se retire dans les bois…
Des mitrailleuses allemandes, muettes jusqu’alors, ouvrent le feu à leur tour; nous ripostons en les canonnant. Partout maintenant la bataille fait rage, le combat engagé par la Tempête il y a quelques secondes à peine s’est transformé en une lutte ardente que nous sentons décisive. L’instant est critique…
Notre sort va se jouer. – – La menace d’une puissante attaque de chars pèse sur mes quatre pauvres destroyers, inférieurs aux Allemands aussi bien en nombre qu’en qualité. D’une minute à l’autre les Panther vont surgir de ce coin de bois, là, à droite, ou de cette haie, à gauche, et alors nous serons tournés, pris à revers et après nous avoir écrasés les Allemands vont se ruer sur le gros des forces françaises qui se préparent à quelques kilomètres derrière nous, inconscientes du danger qui les menace.
Je fais donner l’alerte. Une Jeep part à fond de train; en route elle sera mitraillée par les boches qui se sont déjà infiltrés. Je pointe les destroyers dans les directions dangereuses, avec angoisse nous, attendons le choc.
L’énorme troupeau des blindés allemands, si supérieurs à nous pourtant, hésite… les Panther qui brûlent à quelques centaines de mètres avec de lourdes volutes de fumée noire leur donnent à réfléchir.
Et le combat engagé avec tant de violence et de soudaineté reste tout à coup en suspens. Plus personne ne tire, seuls s’entendent en s’amplifiant les bruits métalliques des chenilles qui montent encore vers nous.
Le salut vient du ciel.
Un vrombissement dans le ciel, un fuselage trapu d’oiseau de proie pique et plonge dans la vallée en rasant nos têtes, un autre suit, puis un troisième, un autre encore… Du fond de la vallée monte le fracas des bombes et de la mitraille : tac tac tac… la D.C.A. allemande répond; dans les airs se croisent les éclairs rouges des balles allemandes et les corps blancs de ces vautours hardis qui piquent à mort sur les taches sombres tapies dans les bois. Un éclair, un Allemand flambe en explosant…
Un autre encore. Victoire !
les Thunderbolt, magnifiques pur sang du ciel, répondent à l’appel qui leur a été lancé par l’Etat-Major voisin et volent au combat.
Celui-ci change d’âme. Les Panther se replient au plus profond des bois pour se terrer. Il faut saisir le moment.
Un bond nous porte au fond de la vallée, dans Damas, où nous nous embossons aux sorties du village; c’est nous maintenant qui prenons à revers les Panzer aventurés au flanc de la crête que nous venons de quitter. Alors, c’est un véritable tir au pigeon; tout char qui se démasque est aussitôt mis en flammes par nos 76,2 ou par les 75 des Sherman qui maintenant nous épaulent.
En voilà un qui tout à coup débouche à 600 mètres devant nous : pas de surprise, pas d’émotion, l’Orage a déjà craché son venin, l’Allemand le reçoit en plein milieu, mais, miracle! il réussit à disparaître dans un petit bois. Nous enrageons. Pas longtemps, un Thunderboldt l’a vu, un piqué à mort, une terrible rafale, une gerbe d’étincelles. C’est fini. Ne nous attardons pas : en voilà un autre qui montre son nez à 800 mètres au coin d’une haie. Pan ! pan ! pan ! Trois coups sont déjà partis, le char n’a pu réagir, il est immobilisé. Des hommes sortent et essaient de le camoufler au fumigène. Pan ! pan ! deux explosifs, les voilà qui détalent à toute vitesse. Pan ! pan ! deux autres coups pour les faire courir plus vite…
Partout c’est la même scène, les Allemands ne sont pas à la fête, mais ils savent se battre, ils attendent. Ils savent que bientôt leurs terribles adversaires, les chasseurs du ciel, vont disparaître à l’horizon, vidés de toutes leurs munitions.
Alors c’est le rush hors des tanières, des canons tonnent, la lutte devient dure. Les Panther ripostent avec l’énergie du désespoir, autour de nous les toits, les murs volent en éclats et les terribles obus allemands balaient en ricochant l’étroite ruelle où, impassibles, Orage et Tempête font des cartons comme à l’exercice. Pas un Allemand ne regagnera son gîte.
Face à la 112e Panzer brigade. – – Mais à Dompaire il reste encore plus de 35 chars lourds, un régiment de grenadiers, de la D.C.A., le gros de la 112e Panzer brigade tandis que, tout compris, les Français n’alignent pas plus de 40 chars, et qui n’ont pas la valeur des leurs.
Cependant le colonel de Langlade resserre son étreinte autour de Dompaire. Comme les pinces d’une tenaille qui va se refermer, il lance ses colonnes, l’une à gauche, l’autre à droite.
Nous autres, nous sommes à droite. Un bond et nous tenons la route d’Epinal. Il y a là quelques Sherman et deux destroyers, un rush des Allemands pourrait nous emporter comme un fétu de paille. Déjà, sortant de Dompaire, des camions, des citernes, voire des officiers en voitures légères se précipitent vers nous tête baissée : les destroyers les clouent sur place. Des portières arrachées, des bras, des jambes jonchent la route…
Les canonniers sont à la fête, deux fois déjà ils ont vidé leurs soutes et le ravitaillement s’épuise. « Ordre aux destroyers de se réserver pour le gros gibier. » Alors c’est au tour des Jeeps d’assurer « la police de la route »; les Jeeps, ce sont les jeunes, comme disent avec un air de tendresse bourrue les vieux quartiers-maîtres boucanés des tanks-destroyers. Eh ! les jeunes, plus nouveaux dans la marine, ils connaissent peut-être davantage le plancher des vaches que la «salée», mais ils n’ont pas froid aux yeux. Regardez-les ! Imperturbables, ils laissent approcher les fuyards en tirant à pile ou face qui les aura… A bout portant le gagnant décharge mitraillette ou mitrailleuse… Et comme ça on peut récupérer les voitures…
Une hésitation pourtant, voilà une ambulance blanche avec sa croix rouge… En nous apercevant le chauffeur accélère et en nous dépassant décharge à bout portant un chargeur de mitraillette. Ah! le fumier! il ne l’emportera pas au paradis ; une rafale de mitraillette, des cris de peur, l’ambulance zigzague, quitte la route et va capoter dans un fossé. En relevant les blessés, nous constatons avec satisfaction que le chauffeur a eu son compte…
Voulez-vous savoir ce qui est arrivé à l’ambulance qui suivait ? Une rafale de mitrailleuse la mit en flammes et elle explosa durant plus d’une demi-heure. Elle était bourrée de munitions !…
Le cimetière des chars. — Mais revenons à nos Panther. Enfermés dans la nasse de Dompaire, ils n’osent pas se montrer, car l’aviation est revenue. Piqués impressionnants au ras des toits, bombes, mitraillades se précipitent à une allure de record. Fous, ils courent dans le village, en avant, en arrière, défonçant granges et maisons pour se cacher à l’intérieur.
Impitoyables, les Thunderbolt s’acharnent, les marins exultent.
Ah ! on voudrait les remercier, les embrasser, ces hardis chasseurs ! Pour les aider nous canonnons les nids de D.C.A.
Mais, en fin d’après-midi, les avions, à nouveau vidés, doivent abandonner le terrain. Alors c’est encore une fois le grand rush, une bousculade vers les sorties. Les uns foncent au nord, les autres, à l’est. Partout les bataillons compacts sont anéantis. A Dompaire, les fusiliers marins de Durville abattent six Panther en deux passes de dix minutes, c’est un record. Les Allemands n’arrivent pas à se ressaisir, leur riposte n’a plus sa précision d’antan. En vain ils essaient de prendre du large, nos coups vont les chercher à près de 2 kilomètres.
Alors ils se replient en direction d’Epinal, qui par la route, qui par les champs, l’un même par la voie ferrée. Bourrasque et Ouragan canonnent sans arrêt, pas un Allemand ne passera. Nos coups les prennent de face comme de flanc, dans les chenilles, dans la caisse, dans la tourelle : pilonnage incessant qui les met bientôt en flammes.
Touché à mort, un Panther culbute du remblai de chemin de fer sur lequel il fonçait… Plus tard nous retrouverons auprès de cette dernière victime le corps intact du lieutenant allemand qui la commandait. Une balle dans la tête pourtant; il n’avait pas voulu survivre au désastre de la brigade.
Le miracle de Ville-sur-lllon. — Vous croyiez peut-être que c’était fini? Nous aussi nous le croyions, du reste. Une Jeep débouche : c’est le lieutenant de vaisseau Richard, commandant la 4e Escadron de fusiliers marins, notre escadron. Il vient nous chercher en vitesse, il paraît qu’il y a encore du travail.
Branle-bas de combat, nous quittons Damas et nous nous lançons à toute allure droit vers le sud. Nous traversons Ville-sur-lllon et nous voilà de nouveau en batterie face aux Panzer.
Venant du sud, un bataillon intact de Mark IV (chars moyens allemands) vient subitement de fondre sur notre arrière. Le P.C. du colonel est menacé, c’est à notre tour d’être pris à revers. L’instant est critique; pour s’opposer à l’assaut des blindés allemands le colonel n’a plus que quelques Sherman et les deux destroyers qui viennent d’arriver. Les Allemands, eux, sont quarante-cinq, et un régiment d’infanterie les soutient. Déjà, sortant des bois où ils ont progressé en silence, les premiers Mark IV ont franchi le passage à niveau, après lequel ils se déploient dans la plaine. Quand leurs lignes se seront reformées ils donneront l’assaut à Ville-sur-Illon; puis, emportés par leur élan, ils iront culbuter les vainqueurs de Dompaire. Triste fin après une éclatante victoire.
Providentiellement, la garde-barrière du passage à niveau a pu donner l’alerte par téléphone. Il n’y a pas un instant à perdre. Pan ! pan ! pan ! un char à 800 mètres, la Tempête lui apprend qu’il est dangereux de s’approcher.
Pan ! pan ! pan ! un autre à 3.000 mètres, le coup le plus heureux de la journée; coup décisif entre tous. Il cloue un Mark IV sur le passage à niveau, empêchant ainsi les Panzer de sortir des bois… Seuls, une douzaine de Panzer se sont déployés dans la plaine, un à un nous les prenons à partie, ils ripostent violemment, à nos côtés des Sherman sont mis en feu. Bien embossés et camouflés les destroyers tirent sans arrêt; les projectiles allemands les encadrent, mais, miracle ! aucun n’est touché.
Victoire ! les Thunderbolt sont de nouveau là ! Par quelle chance ont-ils pu être détournés de leur mission et envoyés sur ce nouveau champ de bataille?…
Comme les Panther, les Mark IV n’aiment pas ça, ils se taisent et rentrent dans les bois, abandonnant sept des leurs sur le terrain. Mais les Allemands n’ont pas dit leur dernier mot, derrière les bois ils se reforment et ils lancent maintenant leurs grenadiers. Armés de Rocket, ils avancent par les bois et gagnent par un mouvement tournant les crêtes boisées où nous nous tenons.
Les voilà qui débouchent à quelque 50 mètres. Comme une étoile filante les obus de Rocket volent autour des chars. C’est miracle qu’aucun de nous ne soit touché. Si, pourtant, l’Orage perdra la poêle à frire de son équipage : elle était suspendue à son croc de remorque !…
Courageusement, les Jeeps se précipitent pour repousser l’assaut, les canons tonnent, les mitrailleuses crépitent, bandes après bandes se succèdent, les canons chauffent à blanc, qu’importe ! il faut tenir.
Je me rappellerai toujours cette compagnie de grenadiers bavarois, oh ! vision fugitive ! bras, jambes, têtes, tous volent en l’air, puis retombent cloués sur place à quelques mètres de nous.
Maintenant la nuit tombe, les Allemands semblent dégoûtés, nous, nous sommes épuisés et nous n’avons plus de munitions. Nous nous retirons pour aller rejoindre nos camarades formés en carré pour la nuit.
Bonne nuit à vous aussi…
Lieutenant de Vaisseau ALLONGUE
(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)
40e Régiment d’Artillerie Nord Africain
/5e Pièce (2e Batterie)
14 septembre 1944
BATAILLE DE DOMPAIRE
par le Maréchal des logis Thomasse
DOMPAIRE : DANS LES BETTERAVES
Le 12 septembre 1944 en fin d’après-midi, nous arrivons sur le plateau entre Ville-sur-Illon et Damas. Le half-track de commandement est embusqué au coin d’une haie, bien camouflé. Il tombe une pluie fine et froide. Vers 22-23h00 le commandant Minjonnet se trouve à quelques centaines de mètres de notre observatoire II réunit tous les commandants d’unité des différentes armes présents dans le secteur Tchad, 12e RCA, 40e RANA. Le capitaine Crespin me demande de l’accompagner pour prendre également connaissance de la situation. Nous sommes 5-6 à participer, tous à genoux, en rond, dans un fossé tout détrempé, situé derrière un repli de terrain. Nous sommes penchés sur la carte dépliée du secteur, un ciré posé sur la tête des participants pour protéger ce document de la pluie, et éclairés par une lampe de poche. Le commandant nous explique que nous formons une pointe extrême, en avant de l’ensemble de la DB et presque encerclés. Une brigade de chars allemands se trouve à Dompaire à 3 kilomètres au nord-ouest de notre position. Evaluée entre 80 et 90 blindés Mark IV et Panther elle constitue une force énorme, d’une puissance de feu extraordinaire. Il faut donc prendre des dispositions exceptionnelles pour la nuit. Le capitaine me demande de ne pas informer les gars de cette situation pour ne pas les apeurer mais de renforcer, doubler ou tripler la garde. Personnellement, je craignais la visite de patrouilles allemandes. En Normandie elles avaient pu faire des prisonniers derrière les lignes et je n’avais aucune envie de tomber entre leurs pattes. A part quelques rafales de mitraillettes et mitrailleuses et quelques explosions, la nuit s’est passée sans incident pour nous. Le matin du 13 septembre 1944, nous commençons la journée par un accident ridicule. Theisen, le chauffeur de l’half-track qui a déposé sa mitraillette Thompson debout auprès de lui, chargée et armée, la fait tomber par un faux mouvement : une balle dans la cuisse, ce n’est pas grave. Il est aussitôt évacué et remplacé par Laurent, jeune engagé à Paris.
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VILLE sur ILLON - Infos pratiques
Aube sur le village de Harol _ Ophélie AUBRY