DOMÈVRE-sur-AVIÈRE – (Vosges)

Lundi 11 septembre 1944

 

“En Lorraine avec Leclerc”

Extrait de “7 ans avec Leclerc” – Jacques Massu
Plon – 1974

 

Notre Groupement de Langlade est en tête de la Division et a pour mission de s’infiltrer, pour le casser, dans le dispositif de la XIXe Armée allemande, elle-même chargée de recueillir les éléments de sa 1ère Armée en retraite.
Nous ne connaîtrons naturellement l’organisation allemande qu’un peu plus tard.
Peut-être dormirions-nous moins calmement si nous savions que l’ennemi a confié au général Von Manteuffel la mission de contre-attaquer le flanc sud de la IIIe Armée américaine, à partir de sa tête de pont à l’ouest de la Moselle et au moyen de ses nouvelles Panzer-brigades, acheminées par la voie ferrée, qui les débarque dans la région de Saint-Dié depuis le 7 septembre.

En effet, chacune de celles-ci compte une cinquantaine de chars Panther de 45 tonnes, une trentaine de Mark IV, deux bataillons de grenadiers mécanisés, un groupe d’artillerie sur chenilles.

L’axe qui m’est attribué, dans la nuit du 10 au 11, aboutit à Domèvre-sur-Avière, à quelques kilomètres au nord-ouest d’Epinal.
Il passe par Lachapelle-en-Blaizy, Bologne, Andelot, Saint-Blin, Bourmont, Bulgnéville, Contrexéville, Vittel, Dompaire…
Beau programme dont nous ne soupçonnons pas quel « suspense » il nous réserve.

L’absence de son capitaine, blessé devant Paris, m’incite à conserver la 7 à mes ordres directs et en avant-garde.
C’est donc la 6e de Langlois qui fournira à son tour l’infanterie du sous-groupement Minjonnet.
Je dispose également d’« éléments de découverte » des Spahis pour m’aider à pénétrer le plus profondément possible dans le système de défense ennemi sur la Marne.

A Lachapelle-en-Blaizy, les renseignements d’une reconnaissance que j’ai envoyée sur Juzennecourt tardant à me parvenir et me sentant pressé par le temps, j’engage mon sous-groupement dans un chemin forestier qui aboutit à Sexfontaines.
Pendant cinq kilomètres nous avançons sous bois dans la forêt du Bois Charriié.
Les derniers véhicules auront quelques difficultés à sortir des ornières.
La route nationale 67 est atteinte après Lamancine.

A ce moment parviennent les résultats de reconnaissances sur Andelot qui est fortement tenu par un millier d’Allemands.
Pour ne pas être retardés dans notre mission, nous éviterons ce bouchon, en faisant un large détour par le nord.
Derrière nous le Groupement Tactique V, alors aux ordres de Billotte, fera son affaire de ce gros rassemblement ennemi.
La Marne est franchie à Vouécourt sur un pont de fortune, aménagé par les F.F.I. avec des fûts de peupliers verts qui plient, mais ne rompent pas sous les 27 tonnes de nos destroyers.
Le commandant du Génie divisionnaire, présent à mon passage, contemple cette manœuvre avec inquiétude cependant que ma colonne entière franchit sans incidents l’obstacle.

Je m’engage ensuite dans la forêt du Heu où je trouve des spahis à l’affût.
Je vais interroger le lieutenant-colonel Roumiantzof, qui les commande, sur les raisons de sa présence camouflée sous les arbres.
Je le trouve, à son habitude, dans un grand état d’excitation. Il est aussi rouge que son calot et a communiqué sa passion à son entourage. « II y a des chars, me dit-il en roulant les r, de gros chars, de très gros chars devant nous… même des chars russes… »

Je laisse « le Roum » à cet affût au gros gibier pour poursuivre ma route et, par la Croix des Allemands et la D.134, je sors de la forêt sans avoir rencontré l’ennemi, vers le nord, à Bettaincourt.
Je reprends la direction de l’est par Montot, Vignes, Saint-Blin, Bourmont.
Là, déjà, nous entendons le fracas de la bagarre qui retient ma 6e compagnie, aux ordres de Minjonnet, devant Prez.
Mais je dois continuer mon avance pour atteindre Bulgnéville.

Jusque-là nous avons réussi à éviter tous les bouchons ennemis mais, d’après les renseignements, Contrexéville et Vittel sont fortement tenus.
On va bien voir ! Cette fois-ci ce sont de grosses agglomérations aux noms prestigieux.
L’ennemi souffrira moralement de leur perte, cela « vaut le coup ».