REHERREY (Meurthe & Moselle )


REHERREY

Km=987 

Octobre – Novembre 1944

 

 

 

© Montage réalisé par Christophe LEGRAND


L’INTERMÈDE DE BACCARAT
(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)

 

Avant de reprendre notre chevauchée nous allons cependant faire encore un galop d’essai. Ses objectifs sont strictement limités : réduire les positions avancées, traverser deux petites rivières, lécher, sans l’entamer, la Vor-Vogesenstellung. Le Général demande (et obtient) d’en profiter pour cueillir Baccarat : mais nous ne devons et ne ferons pas un pas supplémentaire.
Le commandement américain désirait améliorer sa base de départ et faciliter la progression du VIe Corps jusqu’à la Meurthe. Pour découper cette tranche dévolue à l’avance : une blindée, sans autre panachage qu’un renfort d’artillerie. Pendant deux jours, elle laissera libre cours à ses muscles et à ses poings, mais elle étudiera et mesurera ses gestes – – le propre du style, c’est que l’effort n’y est pas apparent — puis elle s’arrêtera comme pour une révérence.
Que l’Allemand n’y ait rien compris, ce n’est pas très étonnant. Le général Bruhn, quand nous le prendrons à Saverne, nous prétendra avoir apprécié en connaisseur la qualité de la manœuvre : cette opinion était aussi couchée sur les rapports que nous lui avons pris, lesquels ajoutaient aussitôt, contre-partie rassurante, que nous nous avérions incapables d’exploitation !
Nous le connaissions bien notre coin, mêlés que nous étions depuis un mois à la terre et aux villages, ceux de l’avant tous les jours un peu plus démolis et déserts.
Quelques Lorrains y restent accrochés : le maire de Brouville, le maire de Glonville. Ils avaient évacué leurs compatriotes, gardé avec eux deux ou trois durs. Autour se groupaient ceux des villages encore occupés par l’ennemi : le maire de Gélacourt, Calamay, le gendarme de Baccarat, une dizaine de garçons solides. Au milieu d’eux, à l’aise dans les ruelles que ne visitent plus que les tuiles arrachées aux toits et les éclats des « trains bleus », solide dans ses pantalons d’homme, une jeune fille. Marcelle Cuny avait caché trois mois chez elle, à Baccarat, deux aviateurs anglais, dont les débris de l’appareil sont encore là, derrière Glonville. Puis, quand nous avions été assez proches, elle avait pris avec eux le chemin des lignes. Pour avoir une contenance à la sortie des faubourgs, elle leur avait donné une brouette, qu’elle avait vite préféré pousser elle-même tant ils étaient empruntés. Avec eux, la nuit venue, elle s’était mise dans la froide Meurthe, elle en avait encore repêché un qui avait manqué se noyer, elle s’était faufilée jusqu’à nous, les prenant par la main dans les joncs et les pièges.
A Glonville, il y avait encore quinze Vosgiens : quatorze gosses plus le père de l’un d’eux, avec leur lieutenant, Jean Serge. Ils appartenaient au maquis du Donon, qui venait d’être taillé en pièces : réunis pour leur parachutage d’armes à Viombois, ils avaient été cernés, ils avaient tenu tête trois jours, cent cinquante, dont plus de cent sans armes, puis s’étaient dispersés par petits groupes, à la grâce de Dieu. On les voit arriver par deux, par cinq, mêlés à d’autres hommes barbus et épuisés : ceux-ci sont les restes d’un commando anglais qui est depuis trois mois en forêt et qui lui aussi s’égrène vers les lignes. On les réconforte, on les regroupe; leurs chefs, Rivière, Marchal, les réorganisent, on les engage dans les rangs des fantassins du Tchad – – et aussitôt ils repartent par petits groupes, retournent là-bas pour voir et nous renseigner. A côté de nous, à l’Etat-Major, le curé de Domèvre, où les Allemands sont encore. Il est chef des maquis de la région. A Domèvre, la Gestapo s’est surpassée : l’abbé Stultzman a vu tomber un à un ses compagnons, chaque jour lui a apporté un nouveau deuil à venger, jusqu’à ce que, rentrant avec nous à Baccarat, il soit allé reconnaître la dépouille de sa sœur, fusillée et abandonnée dans un bois.
Imaginez maintenant cette équipe disparate, unanimement et farouchement résolue, fouillant le terrain, interrogeant les indices, soupesant les passages. Le travail est complété par les Allemands eux-mêmes : avec moins de spontanéité, certes, mais au fond sans trop de manières, les prisonniers faits aux lisières des bois se penchent avec nous sur la carte. L’un d’eux, un Russe, déserte à point l’avant-veille de l’opération et met à notre service un don d’observation vraiment étonnant : il repartira dans nos rangs.

(Suite en bas de page…)

 

 

REHERREY – 1944

 

III/RMT – 9e cie

 

TÊTE DE PONT SUR LA VERDURETTE
Extrait de L’Hallali : de Paris à Berchtesgaden 
Raymond DRONNE
France-Empire 1985

En cette saison, le modeste ruisseau de la Verdurette constitue un obstacle que nos engins ne peuvent traverser que sur un pont.
Branet s’est emparé de Pettonville et de son pont, qui est intact, après une courte bagarre. Un half-track s’est enlisé. La section Moreno continue à pied, sous un feu de mortiers. Une dizaine d’Allemands sont tués, 18 sont faits prisonniers. Le pilonnage continue. Le soldat Lechado Francisco est tué.
Le capitaine Branet et le soldat Navarro sont blessés. L’ambulance est partie évacuer les blessés d’Hablainville. Il faut attendre qu’elle revienne.

Pendant ce temps, le détachement Dehollain roule vers Vaxainville. Des tirs de 88 l’obligent à se replier à défilement de tourelles.
Le sergent-chef Poster, du 501e, part avec deux chars et un half-track à la recherche d’un itinéraire défilé. Il reçoit les obus d’un autre 88. Ils ont frôlé les blindés sans les atteindre. Dehollain demande l’intervention de l’artillerie.
Le détachement commence l’attaque de Vaxainville. Le char Uskub est déchenillé par un coup de 88. Le canon est repéré, les chars le canardent à grands coups de 75 explosifs et mettent les 8 servants hors de combat. Le char « Chemin des Dames » incendie un camion de munitions, qui explose. Vaxainville est occupé. Les Allemands viennent de déguerpir à toute vitesse. Le pont sur la Verdurette est intact.

Le détachement Branet, commandé maintenant par le capitaine Julien, débouche sur l’autre vive de la Verdurette.
Le détachement Dronne, enfin relevé à Hablainville, a suivi Dehollain et arrive lui aussi à Vaxainville.
Julien poursuit sa course le long et à l’est de la Verdurette et occupe Reherrey sans résistance. Dehollain s’y rend par la rive ouest.
Le pont de Reherrey est détruit. Impossible d’y franchir la Verdurette. Mais on peut la traverser à Petton-ville et à Vaxainville, où nous tenons les têtes de pont.

Burinville excepté, tous les villages sont vides. Les Allemands ont fait évacuer les habitants.
Phénomène curieux : dans toutes les unités, les hommes n’ont pas leur entrain habituel. Ils sont moroses, on les sent inquiets.
Est-ce la “conséquence d’un temps gris et maussade ?

 

POUSSÉE VERS VACQUEVILLE

Le commandant de La Horie arrive à Vaxainville.
Il charge le détachement Dronne de rejoindre Julien à Reherrey, de transmettre à Julien l’ordre d’occuper la cote 319, à 1 km 5 à l’est de Reherrey et, ensuite, de se porter lui-même au carrefour situé à deux kilomètres au nord-est de Mervil-ler. Ainsi, je couperai la route qui relie Baccarat au carrefour de Montigny.

Exécution immédiate. Retard à Reherrey, où le détachement Julien lambine. Enfin, chacun rejoint son objectif.
Pour franchir la Verdurette, le détachement Dehollain doit faire demi-tour et rejoindre Vaxainville. Là, le commandant de La Horie lui fixe une nouvelle mission : dépasser Julien à la cote 319 et reconnaître Vacqueville et Montigny. Le terrain est épouvantable.
Trois half-tracks s’enlisent. La colonne Dehollain, réduite à trois chars et à deux hal-tracks, traverse la nationale entre Montigny et Merviller et fonce en direction du sud-est, vers Vacqueville. Trompée par un terrain épouvantable, elle aborde la Féculerie en croyant être aux lisières nord de Vacqueville. Elle l’annonce par radio. Dehollain s’aperçoit de son erreur et rectifie par un nouveau message radio. Dronne a capté le premier, mais pas le second. De sorte qu’il croit que Dehollain est aux lisières nord de Vacqueville. Dehollain démolit une grosse barrière de rondins qui obstrue la route, entre un « à pic » boisé et un thalweg où s’étale un ruisseau boueux.

Ordre est donné à Dronne de rejoindre Dehollain et d’occuper Vacqueville. Il suit les traces de la colonne précédente. Impossible de passer ailleurs. Le terrain, déjà défoncé par les engins de Dehollain, est devenu impraticable. Chars et half-tracks s’embourbent, les voitures du P.C. du sous-groupement font de même. Dronne se retrouve à la Féculerie avec sa jeep et un half-track. Ce n’est pas assez pour faire la guerre.

Le détachement Dehollain est arrivé très incomplet au pont, à la lisière sud-ouest de Vacqueville. La nuit tombe. Il reçoit quelques rafales venant des lisières boisées. Le lieutenant Davreux, dans le Sherman de tête, aperçoit un gros Panzer allemand dans le village, dans le haut de la rue aboutissant au pont. Il commence à faire très sombre, on voit très mal. Davreux tire. Le Panzer disparaît. Des bruits de moteur dans le village. Dehollain, Granell, Campos, le sergent Lafuente et quelques hommes partent en reconnaissance. Ils repèrent le Panzer. Ils mettent le bazooka en toute hâte quelques heures avant notre arrivée.
Dans leur précipitation, ils ont oublié des papiers. Hélas, ce ne sont pas des secrets, uniquement de la paperasse administrative sans grand intérêt.

Je vérifie le service de guet, vais voir les spahis à la Féculerie. Et je pars à la recherche du commandant La Horie et du restant des véhicules embourbés; récupération de deux half-tracks de Campos, d’un autre de la 2e section dont l’embrayage est mort et qu’il faut remorquer. Un autre est enlisé jusqu’à la caisse. J’y passe la nuit. Demain, je n’aurai pas les yeux en face des trous.

Le détachement Julien rejoint la Féculerie, cela fait du monde et beaucoup de voitures dans un petit espace.
La Horie m’en a raconté une bien bonne : le pont de Vaxainville, sur lequel sont passés tant de blindés depuis hier matin, était miné. En le vérifiant, le génie américain y a trouvé et a enlevé deux grosses torpilles et une mine à pression. Le traquenard n’a pas fonctionné. Nous avons eu la baraka.
Pendant la journée écoulée, nous avons fait des prisonniers, entre 30 et 40. Nous avons tué trois fois plus d’Allemands. Le soir, Campos a été blessé par de multiples éclats de petite taille. Apparemment, ce n’est pas très grave, mais il va être indisponible un bon bout de temps. La 3esection est décapitée: Fabregas tué voilà quinze jours; aujourd’hui, Campos blessé et évacué; voici quelques jours Reiter malade a dû être hospitalisé.

 

 

31 OCTOBRE 1944 

Prise de Baccarat

RBFM

 

Attaque sur Baccarat.

Les objectifs du G.T.V. sont Hablainville, Pettonville, Montigny, Merviler et Vacqueville

Le sous-groupement H. se regroupe après Reherrey. Le pont sur la Verdurette, à Vaxainville a été trouvé intact (on apprendra 38 heures plus tard qu’il était miné par deux énormes marmites, et que plus de 200 véhicules avaient frôlé le piège sans le toucher).
En progressant vers la côte 319 qui se trouve au sud ouest de Montigny, le “Lynx” guidé par l’Aspirant Royer se paie le luxe de tirer et d’allumer, en 3 coups de canon à 1000 mètres, un Panther à l’affût après une manœuvre remarquable de rapidité et de précision.
La nuit est passée en D.C.B.( ?) à Reherrey. L’escadron renforcé de quelques obusiers de 75 du R.M.T. tient la partie Nord-Est du village. Nuit agitée, bombardements intermittents et surtout, le thermomètre baisse d’un seul coup de 15 degrés. Froid de canard et gelée.
Baccarat a été pris par le G.T.D. avant la nuit

 

1er novembre 1944 

501e RCC

 

Dans sa jeep avec Boyard, “Staline” (J. Branet) emmène à Reherrey ce qui reste du PC SGH. “Tuileries” est en tête, “Buttes Chaumont” le suit puis en queue, l’H.T. Radio d’O’Scalan avec Boverat.
Nous retrouvons ce pauvre village que nous avions pris et quitté il y a 24 heures, à moitié en ruine.
BRANET y est déjà installé, se remettant de ses blessures avec Mulsant ; il accueille avec affection les BO (Paul Boyard et Maurice Boverat).
Le Colonel est un peu plus loin avec Menonville, Vivier et Balzano. Ils lui ont préparé un home et son PC. Il est exténué et s’endort sur le champ. Presque à côté, dans une maison correcte avec une belle grange, le Cdt DEBRAY nous attend avec le Lt Degois et nous félicite.
Je place le “Tuileries” et en sort avec Rabanit et Lilich (Gabriel Sarraude).
Tout est prêt pour nous recevoir. Trois sommiers dans la 1ere pièce, sales et dégueulasses semblent être faits pour nous “morts de fatigue”.
Aussi, sans rien dire, d’un commun accord, nous nous écroulons dessus.

“Souvenez-vous…”de Michel FRYS

 Michel FRYS fait partie de l’escadron de protection de l’EM du GTV, pilote du char TUILERIES visiblement le sous groupement La HORIE avec la 3/501e du Capitaine Jacques BRANET s’installe à REHERREY du 1 novembre au soir au 8 novembre le matin

 

1er novembre 1944 

Q.G. 97

 

Le lendemain nous sommes partis pour occuper le village de REHERREY. Nous nous sommes installés en plein champ et nous sommes restés une bonne semaine, sous une pluie continuelle. Nous étions sous nos tentes. Heureusement le village était désert et la paille des granges nous permettait de nous isoler du sol détrempé par la pluie et d’améliorer notre confort en renouvelant chaque jour la couche de protection. Nous avons été attaqués par l’aviation allemande un jour que nous déjeunions dans une maison du village. Une batterie des F.T.A. qui se trouvait à proximité réussit à abattre un avion au-dessus de nous.

Jacques FENOUILLERE

“Le peloton du Général Leclerc

éd. Muller

 

 

En 1984, en refaisant mon périple de 1944, avec mon fils, j’ai trouvé une personne qui habitait le secteur de GERBEVILLER, qui m’a confirmé la chute du chasseur allemand, son propre fils ayant récupéré des pièces de l’appareil abattu. [ …]”

Notre camarade TAILLANDIER a une bonne mémoire. En effet, le 1er Novembre, notre secteur avait été attaqué par 30 chasseurs Messerschmitt en plusieurs vagues !
2 seront abattus d’entrée par la 4e batterie des F.T.A.
5 autres s’ajouteront les jours suivants au tableau de notre D.C.A., l’un des deux offrira d’ailleurs, à un Bofort monté sur châssis de G.M.C. de la 1ere batterie, un spectaculaire combat singulier : fonçant sur notre pièce qui tire et l’attaque, il percutera et explosera devant elle, criblant d’éclats les servants ; le moteur rebondira et roulera à 300 mètres, tandis que le pilote ira s’écraser aux pieds mêmes de ceux qui l’avaient abattu.

 

2 novembre 1944 

22e FTA

 

Nous sommes le 2 novembre. J’ouvre un oeil après avoir dormi treize heures d’une seule traite ; je me réveille complétement lorsque je constate que je suis couvert d’une grosse toile et que l’on m’a enlevé les bottes que j’avais aux pieds ; elles ont disparu, je ne les reverrai plus. Je m’assieds. Ferdinan, ayant constaté mon réveil avec un peu de retard sur Paul Rabanit et Lilich, m’apporte un grand café au lait et des petits biscuits.  [ … ] Mon ami me raconte la nuit. Ils ont eu affaire à une bande de résistants FTP communistes se disant ” les autorités” devant prendre le commandement de cette région et ayant besoin de nos habillements et matériels
A 11h30, la 1re batterie fait mouvement et s’installe à 12h à la sortie nord de Reherrey.


3 novembre 1944 

Nous avançons jusqu’à Reherrey où nous prenons position. C’est la grande musique des obus boches sans arrêt. On disait qu’ils n’avaient plus d’artillerie, autre chose qu’ils n’avaient plus soit disant fait son apparition : l’aviation. Un jour 30 – M 105 viennent nous surprendre et nous les mettons en fuite en les empêchant de mitrailler les troupes. Le lendemain alerte « avions » ! 4 – M 105 sont aperçus et signalés par radio. Tout à coup un débouche du village en rasant les toits et en mitraillant. Les pièces tirent et le chasseur explose à 100 mètres de nous. Un blessé grave deux blessés moyens.

Quatre Me 109 survolent l’ensemble de la position. Ils sont engagés par toutes les batteries, particulièrement par la 1re et la 2e batterie. A la 1re batterie, l’un des Me 109 attaque la pièce en piqué, la pièce tire sur l’appareil qui est atteint et s’écrase 50 mètres plus loin, le moteur de l’avion rebondit et passe par dessus la pièce pour aller tomber 200 mètres plus loin. Le Maréchal-des-Logis COLLOBERT, chef de pièce, qui a commandé le tir est blessé de plusieurs balles ainsi que CHEVRIAUX, LEBON. Le cadavre de l’aviateur allemand est retrouvé décapité »
Un autre des quatre Me 109 s’est abattu en flammes dans les lignes ennemies au nord de Herbéviller.

En position à Reherrey ce même jour : la 33e batterie du XI/64e R.A.D.B.

.

11 novembre 1944

Retournons avec toute l’artillerie à Reherrey où nous reprenons position. Les obus tombent toujours.

14 novembre 1944

Mais l’attaque a commencé aujourd’hui 14 novembre et cela semble s’être élargi un peu. Nous attendons la relève.

Les Américains sont arrivés mais ce n’est pas pour une relève, bien au contraire c’est pour une attaque et je ne crois pas que nous soyons relevés avant Strasbourg. Je suis bien fatigué et j’en ai marre. Les premiers permissionnaires sont partis ce matin et peut-être ne vais-je pas tarder. Pour l’instant défile devant mes yeux un matériel formidable. Des canons de tous calibres, des « Basfours, » des chars sont rassemblés en groupes dans la vallée.

Voici 2 nuits que l’artillerie roule sans arrêt un grondement d’enfer. Je crois que l’attaque aura lieu demain.

17 novembre 1944

L’attaque a commencé et nous avançons rapidement.

Nous prenons position à Saint Maurice (un autre) où tout est évacué. Nous trouvons de poulets et des lapins en pagaille et nous faisons des festins. Les boches nous envoient leur 88 sur la figure mais ce n’est pas grave. Ils se rendent en quantité et c’est un continuel défilé de prisonniers

18 novembre 1944

Sommes à Ancerviller où nous protégeons une des plus formidables concentrations d’artillerie que j’ai jamais vue.

19 novembre 1944

Le lendemain, 19 novembre, nous trouve à Reherrey, sinistre, abandonné, où nous avons passé la nuit à la lueur d’une baladeuse branchée sur les batteries du char. Dans la matinée, deux ou trois avions allemands rasent les toits du village et mitraillent à la sortie de celui-ci un convoi de camions sur la route de Brouville. Je me précipite sur la tourelle pour y installer la « 50 » en D.C.A., mais un officier me voyant faire me rappelle que l’on ne doit tirer qu’en cas d’attaque directe. Rien à répondre.


Transcription du Cahier de route du 11 avril 1944 – 25 janvier 1945 –de Marcel Wajémus (1920-2001)
2ème D .B. division Leclerc – 1ercanonnier D.C.A. 22ème groupe colonial F.T.A

 

 

 

 

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1944 – 12ème régiment de cuirassiers

« CUIRASSIERS… CHARGEZ… »
LE 12e RÉGIMENT DE CUIRASSIERS

‎La 2e DB, Général Leclerc, En France, Combats et Combattants
par un groupe d’officiers et d’hommes de la division
Éd. Arts et Métiers, Paris 1945

 

Notre plus vieux régiment de cavalerie. Formé en 1668, « Dauphin-Cavalerie » devient Par la suite le 12e Régiment de Cavalerie, Puis le 12e Régiment de Cuirassiers, le « 12e Cuir » ; à cheval jusqu’en 1939, il se motorise à cette date, se blinde en 1943, en Afrique du Nord. Sa cuirasse, c’est maintenant le Sherman. Pour la porter à la charge, les muscles et le cerveau d’un seul cuirassier, même lorsqu’il a remplacé son cheval par un Diesel de 500 CV, ne suffisent plus, il y faut maintenant l’équipage. Mais, cuirassier ou équipage, vous trouverez toujours pour animer la lourde carcasse une seule pointe de volonté, un seul coeur.
Pendant l’occupation son étendard fut caché dans le coffre-fort d’un directeur des haras du Centre de la France. Lorsque le régiment eut atteint Paris, sa première grande étape, un officier en civil partit à sa quête dans une région encore infestée d’insécurité. La précieuse soie qu’il ramena, qui date de l’Empire et qui fut ressortie pour la première fois aux yeux de tous sur la Place Kléber à la libération de Strasbourg, porte inscrits dans ses plis, et en attendant d’autres, les noms d’Eylau, d’Iéna, d’Austerlitz, de l’Yser, de l’Arvre et de Saint-Mikael.

Sur cette Lorraine de brume et de boue, la pluie enfin ne tombe plus. Les hommes, immobiles, sont là; depuis longtemps massés à angle droit devant les chars. La lassitude envahit les regards, les corps mouillés : on ne se bat plus, pire, « on moisit »… Les nouveaux engagés sont à peu près certains cette fois d’avoir manqué leur affaire! Quant aux anciens, ils parlent batailles, assaillis de souvenirs et de regrets.
Et pourtant il va suffire tout à l’heure de trois mots pour redresser les têtes et faire battre les cœurs. Soudain le champ s’anime, des officiers s’agitent, passent des ordres à voix basse. Une voix hurle : « Garde à vous ! » Plus une tête ne bouge. Seules six cents paires d’yeux cherchent le colonel, surveillent sa venue, veulent son regard. Je ne le vois que lorsqu’il est devant moi. Mais, la tête haute, raide comme un bâton, je ne le vois presque plus à trop bien le fixer. Je devine seulement son pas précis, rapide à l’ordinaire et qui hésite dans la boue, sa canne devant mes pieds tenue d’une main ferme, sèche, son regard noir glissant lentement sur nous. Déjà il est passé. Maintenant, au centre du terrain, nous dévisageant durement, il hache ses phrases, lancées comme des coups : « Nous surprendrons l’ennemi par notre audace dans la plaine d’Alsace. » L’ordre du jour est net : « Nos vies ne comptent pas. » Je sens autour de moi comme un frémissement muet. Très droit, mon voisin me pousse du coude et me glisse: « Cette fois- ci, ça y est !… » Je lui réponds : « Tant mieux ! »
Cinq jours plus tard à peine, nous apprenons la prise de Blamont par les Américains. Ces Américains qui nous précèdent à a l’attaque de quelques heures et que nous allons relever, parait-il, dépasser de toute la vitesse de nos moteurs, le moment de l’exploitation venu, pour engouffrer dans l’arrière des lignes allemandes une quantité maxima de chars, de canons et d’hommes. Mission typique de cavalerie, faite d’audace, d’initiatives et qui nous convient parfaitement, nous enchante : nous avons hâte de découvrir du haut des Vosges la grande plaine alsacienne.
Aux premières rumeurs, les hommes, trop heureux, se sont rués sur leurs engins. L’ordre de départ trouvera tout le monde en place, les paquetages bien arrimés sur les moteurs, les pleins faits. Il a gelé dans la nuit, et le sol durci facilite singulièrement les manœuvres. Si l’on pouvait disposer de quelques jours de temps clair, sec, nul doute alors que l’on ne renverse tout sur notre passage!

Le lendemain, 19 novembre, nous trouve à Reherrey, sinistre, abandonné, où nous avons passé la nuit a la lueur d’une baladeuse branchée sur les batteries du char. Dans la matinée, deux ou trois avions allemands rasent les toits du village et mitraillent à la sortie de celui-ci un convoi de camions sur la route de Brouville. Je me précipite sur la tourelle pour y installer la « 50 » en D.C.A., mais un officier me voyant faire me rappelle que l’on ne doit tirer qu’en cas d’attaque directe. Rien à répondre…
Mais les Américains ont dû trouver un passage. A 15 heures nous repartons… Les hommes d’un bond grimpent sur leurs monstres avec des agilités de danseurs de corde. A 15 h. 15 la colonne reprend la route. Au fur et à mesure que nous avançons vers ce front qu’on nous refuse encore, nous trouvons une région toujours plus encombrée. Par toutes les routes, parles chemins même, de longues files de chars, d’automitrailleuses, de destroyers s’acheminent lentement vers leurs positions d’attaque. Aux croisements les hommes de la circulation routière, avec leurs bras tendus, ont l’air de sémaphores de gares de triage. Par mon périscope, je ne découvre de tous côtés que voitures légères ou lourdes, chenilles, tourelles, 75 de Sherman ou 76,2. A droite, à demi embourbée dans un chemin glissant, de l’artillerie chenillée, des auto-canons, des mortiers. Devant, des spahis à calots rouges, hauts perchés sur leurs «légers » trop grêles, à gauche des fusiliers marins…

Tout ce monde d’apparence hétéroclite forme le « Groupement tactique » homogène, aux ressources diverses, aux articulations souples, divisé à son tour en « Sous-Groupements », puis en « Détachements », unités mixtes composées de chars, d’infanterie et de mortiers ou d’artillerie chenillée, permettant une action indépendante, rapide, susceptible de se lancer en pointe, de combattre et de se défendre par leurs propres moyens. Nous formerons ainsi à Hablainville, où nous retrouvons une section d’infanterie et un peloton de mortiers destinés à appuyer nos chars, le détachement Compagnon, sous les ordres du capitaine de notre Escadron. Nous appartenons au Sous-Groupement Rouvillois, avec deux autres Détachements : ceux du lieutenant Briot de La Crochais et du capitaine Lenoir.
Seconde nuit d’attente, à Domjevin. Dans une cave étroite où les Américains ont laissé un peu de paille et où nous serons quinze. Nuit brève, inconfortable : à 5 heures tout le monde est debout. Les conducteurs se glissent aux postes avant, font chauffer les moteurs; les véhicules manœuvrent pour reprendre la route. On n’y voit rien et l’on s’aveugle à coups de torche. A 6 heures, départ.
Mais, puisqu’on va combattre, il pleut de nouveau! La route qui nous mène à Avricourt, par Vého et Lintrey, est extraordinairement boueuse, et dans la nuit les conducteurs marchent presque au jugé, l’œil rivé sur le feu rouge du véhicule précédent.
Le jour enfin se lève, la pluie redouble et suinte par les moindres ouvertures, coule dans le dos des hommes… D’une heure à l’autre nous allons maintenant être engagés. Dans les tourelles, tireurs et radio-chargeurs font leurs derniers préparatifs, dégagent les obus, sortent les bandes de mitrailleuse. J’arme la mienne, qui percute normalement. La culasse du canon, correctement graissée, dégage une impression de force. L’Allemand n’aura qu’à bien se tenir.
A la traversée de Réchicourt, profitant d’un embouteillage, des soldats américains nous tendent des quarts de café bouillant, et nous nous sentons mieux. aussitôt. Plus loin, dans un bois, des fantassins sont massés en grand nombre. Ils nous regardent passer avec cette indifférence étonnée des soldats pour tout ce qui n’est pas de « chez eux ». Nous passons Saint-Georges, Lorquin, qui vient d’être pris, puis arrivons à Xouaxange. Là commence notre aventure. Xouaxange, C’est le canal de la Marne au Rhin, le premier Obstacle naturel à franchir, dangereux pour les chars. Par chance, les Allemands n’auront pas eu le temps de faire sauter le pont : la coupure ne nous arrêtera pas. Mieux, la trouée est trouvée: les cavaliers que nous sommes n’ont plus qu’à foncer sur l’objectif suivant : la Sarre, qu’il va falloir franchir aussi.
Nous passons le canal sans difficulté, malgré l’inondation causée par la destruction du pont de chemin de fer : les chars ont les chenilles dans l’eau quelques instants. Nous allons obliquer vers l’ouest, sur Héming, où les Américains seraient arrêtés. De là nous marcherons en direction générale nord-est, l’ordre d’emprunter l’itinéraire « A » – le plus au nord – étant échu au sous-groupement Rouvillois. Le colonel commandant le « 12e Cuir » va se lancer sur la Sarre, les Vosges, Strasbourg.
Dès le début de l’après-midi nous rencontrons les premiers éléments ennemis ; sur la route qui serpente à travers champs, les chars ont pris leur place de combat. Se succédant à intervalles d’une cinquantaine de mètres, ils progressent maintenant de bond en bond. Le pays ? Peu favorable à l’attaque. Le terrain vallonné forme autant de compartiments, de crêtes boisées, de fonds marécageux où l’ennemi semble n’avoir qu’à s’embusquer et nous attendre de sang-froid. La route en lacet risque toujours de ménager des surprises. Pourtant il faut foncer, sans craindre la vitesse, qui peut en certains cas constituer l’unique chance de salut. Devant nous, à quelque 200 mètres, le char de tête pousse ses moteurs à fond. Le secteur paraît calme, la progression s’effectue rapidement, sans incident. Mais à chaque seconde l’oreille reste tendue, guettant le coup de canon, la rafale ou l’explosion qui déchaînera la bagarre. Le temps paraît presque lent de cette attente qui éprouve les nerfs : d’une seconde à l’autre, le perforant peut fendre l’air, qui traversera la tourelle au mépris du blindage, dans sa formidable puissance, et fera voler à l’intérieur du char une poussière d’acier déchiqueté.
Soudain, c’est le soulagement, l’ennemi qui se dévoile, qu’on peut tirer et qui, surpris, perd ses moyens, vise mal et par là se condamne, terrorisé devant l’apparition des chars, la cadence des mitrailleuses, les effets foudroyants du 75 explosif. Mais ce coup de canon ? Je regarde le tireur, il tourne brusquement la tête et me dévisage lui aussi. Une mitrailleuse ouvre le feu. Notre colonne s’est arrêtée. Je cherche à voir par le périscope, mais la route tourne et me cache les premiers véhicules, qui doivent être accrochés derrière le virage. La mitraillade s’amplifie quelques minutes, puis cesse. Nous avançons de nouveau. J’entends à la radio le capitaine Compagnon demander au char de tête ce qu’il a vu, si tout va bien. Il répond : « Suis à l’entrée du village; que faut-il faire des prisonniers ? » Ordre lui est alors donné de se porter à la lisière nord d’Héming, en laissant les Allemands à la garde de la population civile. Les Américains, derrière nous, achèveront de nettoyer l’endroit.
Il ne s’agit plus de perdre un quart d’heure désormais. Chaque minute va compter si l’on veut essayer de surprendre l’Allemand plus loin, sans lui laisser la possibilité de se ressaisir. Nous traversons Héming « plein pot », les mitrailleuses braquées sur les maisons, sous les yeux stupéfaits des rares civils hasardés sur le pas de leur porte. A la sortie du village, nous poursuivons aussitôt sur Kerprich, où nous ne rencontrons pas une résistance beaucoup plus forte. Seuls quelques tirs d’artillerie et de mortiers de 81 tentent de gêner notre avance. Le char de tête, a l’entrée du village, nettoie à coups d’explosif des nids de mitrailleuses, sans que le reste de la colonne ait à intervenir. Mais, à l’intérieur de l’agglomération, la fusillade reprend, violente. Les Allemands qui s’obstinent nous tirent des fenêtres à la mitraillette, et une mitrailleuse se révèle au soupirail d’une cave. La riposte est prompte. Nos armes automatiques déclenchent un feu nourri sur les embrasures suspectes. Nous repartirons sans avoir tout à fait brisé la résistance. Il importe surtout de pousser de l’avant, sans regarder derrière ni sur les côtés. D’autres sont là pour effectuer les nettoyages nécessaires : il nous faut davantage abattre du kilomètre que de l’Allemand; beaucoup d’entre nous voudraient tuer. On leur expliquera gentiment que ce plaisir ne leur revient pas, que leur rôle est de percer, de foncer tant qu’on pourra…
De fait, le rythme de notre avance s’accélère. Dans Langatte, où elle pénètre à vive allure, la patrouille de tête prend sous le feu de ses mitrailleuses une batterie hippomobile de 150, qu’elle met en déroute. Deux canons sont atteints de plein fouet à coups de perforant. Les servants sautent dans les maisons, tentent de disparaître à travers champs par les jardins. Mais, par-dessus le village, j’en repère une demi-douzaine qui courent dans les prés et les signale aussitôt au tireur. Il fait tourelle à droite, penché sur sa lunette, règle sa hausse et tire. Le char marque le recul. Le coup est un peu court. Je retire la douille brûlante, recharge. Un second obus fait monter une gerbe de terre entre les cinq ou six points noirs : on ne les verra plus. « On se croirait aux lapins ! » hurle le tireur, ravi, les yeux exorbités. Et c’est assez cela.
La colonne repart lentement […]

JEAN-CLAUDE HENRIOT.

L’INTERMÈDE DE BACCARAT (Suite)


L’INTERMÈDE DE BACCARAT
(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)

 

…Manteuffel avait déjà retiré pour la reformer la majorité de sa 5e Armée blindée. La 21e Panzer restait la dernière : devant la Division blindée française il fallait maintenir des blindés. Elle partirait à son tour dans quelques jours, dès que la 106e Panzerbrigade, dégagée de la région du Thillot, serait arrivée. En attendant, la 21e Panzer recevait un sérieux appoint d’antichars : son bataillon antichars, auquel il ne restait que quatre canons de 88, recevait en bloc, vers le 15 octobre, douze canons de 85 russes, réalésés en 88, avec tout le personnel pour les servir. Ces renforts étaient presque tous mis en œuvre entre Meurthe et Vezouze, pour couvrir la rocade Baccarat-Montigny-Domèvre.
L’ennemi s’était donc préparé à une irruption de blindés : il les attendait cependant surtout sur les routes et principalement sur les deux axes que forment la Nationale 59 et la Nationale 4, bifurquant toutes deux de Lunéville vers Baccarat et vers Sarrebourg, qu’il avait barrées à Azerailles et à Ogeviller. A mi-chemin, tenant la croupe entre les deux vallées et le carrefour des routes secondaires, il avait fortifié Hablainville. Ces trois points forts étaient reliés par un rideau d’infanterie sans profondeur : si les documents saisis montraient en effet qu’il avait prévu à l’avant trois lignes de résistance successives avant de retomber sur la Vor-Vogesenstellung, il manquait d’effectifs pour les garnir.
Le Général choisit donc de manœuvrer par surprise, profondément et en dehors des axes.
Le gros de la division se met en place sur la rive droite de la Meurthe le 30 octobre, par une journée ouateuse qui masque à souhait les vues et les bruits. Le débouché aura lieu des lisières est de la forêt de Mondon, mais la dernière partie du parcours (par trois itinéraires aménagés par le génie à travers la forêt) ne se fera qu’immédiatement avant le déploiement, le 31 au matin, pour réserver le maximum de surprise. La Horie, au centre, évitant délibérément Hablainville pour passer tous terrains au nord et au sud, doit immédiatement border la Verdurette de Pettonville à Merviller, y chercher des passages et, sans marquer d’arrêt, pousser sur Vacqueville. Les autres sous-groupements se déploieront en éventail autour de lui, protégeant ses flancs et ses arrières, élargissant sa brèche et s’assurant les routes, qui seront aussitôt déminées. Merviller pris, Baccarat sera attaqué par le nord, et une menace poussée de Vacqueville en direction de la route Pexonne-Neufmaisons doit nous conserver l’ascendant suffisant pour que les réactions ennemies ne puissent être efficaces avant que nous soyons consolidés. Alors seulement nous tirerons notre révérence. Six sous-groupements, dont chaque temps est réglé et dépend de tous les voisins – – il n’y manque même pas la désinvolture des chasse-croisés -le menuet de Baccarat.

*

A la tombée de la nuit, chacun perfectionne son style, tandis que le Général et son Etat-Major, qui n’ont plus à intervenir, ont tout le loisir, des fenêtres sans carreaux du glacial séminaire de Ménil-Flin, de scruter le ciel. La traversée du bois et le débouché en plein champ sont déjà scabreux à cette époque (on a spécialement sorti les chars pour une expérience : ils s’enliseront dans des mares de boue si la pluie se remet de la partie) ; or le temps aujourd’hui s’est radouci et s’est couvert.
Mais le matin du 31 s’ouvre froid et ensoleillé. Bientôt il s’emplit des tirs de l’artillerie qui commencent au moment du débouché, car là aussi tout a été subordonné à la surprise. Et les lisières de la forêt se garnissent de chars.

*

Le menuet suit son rythme. Pour qu’il n’ait pas l’ennui des choses trop impeccables, voici d’abord juste ce qui est permis comme faux pas.
La Horie, ouvrant la danse, doit donc éviter Hablainville, point fort sur la colline, pour s’emparer de Pettonville et du pont sur la Verdurette. En tête, le premier char passe le ressaut du terrain, découvre son village, n’hésite pas une seconde à annoncer « Pettonville » : et toute la harka de l’enfoncer. Vers le pont, puisque lui seul compte, le capitaine dépêche aussitôt l’aspirant. Ce dernier est un peu dépité lorsqu’il revient : «II n’y a pas de pont… d’ailleurs il n’y a pas de rivière ! » — Histoire de fou. Qui témoignera ? – – «La plaque à l’entrée du village, retourne la voir en vitesse ». C’était Hablainville !
Que c’eût été le point fort, personne ne s’en souciait plus, puisqu’on l’avait pris sans le savoir. On y avait tué cinquante boches, liquidé deux ou trois canons. Il ne reste qu’à se dépêcher sur Pettonville, qu’on prendra à son tour, pendant que Massu, dont Hablainville était l’affaire, et qui attend derrière, trouve un peu fort qu’on l’ait dérangé pour rien…
Puis tout rentre dans l’ordre, La Horie borde la Verdurette de Pettonville à Reherrey; sur trois ponts, il s’en assure deux. Passé sur la rive droite, il va couper au sud de Montigny la route de Baccarat à Domèvre et repart droit à l’est déborder Vacqueville par le nord – – Massu l’a fidèlement suivi jusqu’à la rivière.
Cantarel, sur la droite, a pris Brouville et Merviller. Il s’efface et, coupant La Horie, il passe sur sa gauche, droit au nord, sur Montigny. Pour le remplacer, voici Quiliquini.
A l’heure H, sortant à l’improviste des Hauts-Bois, celui-ci avait sans autre façon, de flanc, et en compagnie du déserteur russe, abordé Azerailles. De l’observatoire voisin, comme d’une loge devant un théâtre d’enfants, on a vu le canon antichar cracher sa lueur à la place qui sur nos cartes lui était dévolue, puis se taire; et le grand bazooka jaune surgir de dessous le ponceau, traîné en brimballant dans la retraite précipitée de ses deux servants. La garnison était sortie par paquets, les bras levés; elle collaborait maintenant au déblayage, sous l’œil vigilant du Russe, qui leur prouvait ainsi qu’en définitive c’était bien lui qui avait eu raison.
Sortant de la forêt au même instant et un peu plus au nord, Rouvillois avait pris la crête qui domine Gélacourt, puis Gélacourt, puis le 88 et la position du bois des Aulnays. Marcelle Cuny l’accompagne depuis le matin : elle lui indique maintenant un itinéraire qui évite les obstacles établis par les Allemands à l’entrée de la ville. Il pénètre avec elle dans Baccarat par le quartier des casernes.
Il se répand aussitôt sur la rive droite de la Meurthe : en même temps, guidé par Calamay, y voici le détachement Joubert. Ce dernier, détaché par Quiliquini, a échangé la droite de Rouvillois pour la gauche de Rouvillois. Il a ainsi gagné Merviller puis Baccarat par la route du nord.
Tous foncent alors sur le pont : Krepps, Luchiesi, Maclena. Au canon, ils tirent dans le groupe qui s’affaire de l’autre côté. Ils coupent en deux l’officier avant qu’il n’ait mis en œuvre la destruction. Il ne restera plus au sous-officier boche qu’à nous montrer comment nous débarrasser des imposantes torpilles qui truffent tout spécialement ce coin-là et nous serons maîtres du seul pont impeccable sur la Meurthe qu’on puisse encore trouver à l’heure où j’écris.

Demain, il reste à arrondir quelques gestes :
Vacqueville n’est pas encore pris. Le terrain a été à limite de praticabilité toute la journée — et après le passage allègre des chars on y a vu souvent de tristes troupeaux de half-tracks embourbés. Dans l’après-midi il a fait soudain défaut à La Horie : le menuet risque de devenir black-bottom. Il faut faire demi-tour, revenir par Merviller sur les Carrières, que le colonel von Luck, qui avait perdu d’entrée la moitié de ses effectifs, a quittées précipitamment. Le 1er novembre l’attaque reprend et va durer jusqu’au soir.
En partant, von Luck avait confié Vacqueville a son officier favori : lieutenant Sommer, commandant la compagnie d’Etat-Major. Le journal de la Wehrmacht venait de le mettre à l’honneur, car il avait reçu la haute distinction de Ritterkreuztraeger du régime. Le titre de l’article était : « Ein Offizier der Teufelsdivision und seine mànner ». Le même titre venait à l’esprit irrésistiblement au spectacle de ce même officier et de ces mêmes hommes rangés contre les murs fumants et fouillés par les Espagnols de Dronne. L’officier avait timidement montré au fond de sa poche sa Ritterkreuz, beau crachat tout plein de brillants, et, comme un gosse, il questionnait anxieusement : pourrait-il la garder ?
Quant à la. Teufelsdivision, elle perdait encore tout le terrain entre la Verdurette et la Blette, que Minjonnet et Massu conquéraient incontinent, le pont sur la Blette à Montigny, que coiffait Cantarel, et à l’autre bout toute la Meurthe jusqu’à Bertrichamps.

A Montigny, Cantarel touchait la Vor-Vogesenstellung. Cette fois, ça devenait sérieux. Tranchées hâtivement garnies avec de tristes produits de la « mobilisation totale », tous les chars disponibles (une vingtaine) rués sur le secteur, mais à distance respectueuse, troupes prélevées dans la nuit aux autres secteurs et grosse débauche de munitions d’artillerie.
Et aussi, signe infaillible du désarroi chez l’ennemi, la réaction désordonnée de son aviation. Trente Messerschmidt le 1er novembre : pour des gens qui en sont si économes ! Deux sont abattus d’entrée par la 4e batterie antiaérienne. Cinq autres s’ajouteront les jours suivants au tableau, l’un qui offrira à un canon de la 1ère batterie l’occasion d’un spectaculaire combat singulier. Fonçant sur la pièce qui l’attaque, il percute et explose devant elle, criblant d’éclats les servants ; le moteur rebondit et roule sur 300 mètres tandis que le pilote vient s’écraser aux pieds mêmes de ceux qui l’ont abattu.
Après quoi tout rentrera dans l’ordre : l’ennemi a conclu – – pour un temps — que nous ne savons pas exploiter !
L’image du doigté et de l’ascendant pris sur lui dès le 31, on pouvait la trouver dans le cadre du vin d’honneur que les F.F.I. et la municipalité de Baccarat offraient au Général le 3 novembre. Le curé de Domèvre présentait ses concitoyens et ses camarades dans la salle d’exposition de la Cristallerie. Peut-on imaginer décor plus fragile ? Qu’en serait-il resté après l’ombre d’une résistance ou si seulement le pont avait sauté ?
Et sur une planchette surélevée au milieu des coupes de Champagne s’alignaient en frêle trophée quelques carafes et quelques verres, vestiges du service taillé et ciselé pour Goering.

***

(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)

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