FONTENOY-La-JOÛTE (Meurthe-&-Moselle)

FONTENOY-la-JOÛTE  –  GLONVILLE

 

Octobre 1944
par FISCHER

 

Souvenez-vous, c’était pendant les trois semaines de guerre de position devant Baccarat. Le temps est maussade et pluvieux, les chemins ravinés par des ornières profondes et les champs boueux sont difficiles d’accès aux engins.
Partant du Nord de Fontenoy-la-Joute, un chemin vicinal de terre mène au hameau de Mervaville à quelques centaines de mètres. II s’agissait pour mon half-track d’y mener des blessés qui devaient, là, être pris en charge par une ambulance. Pour y parvenir, un raidillon nous menait au haut d’une petite côte à partir de laquelle nous étions subitement à découvert et soumis, dès que nous étions dépistés, aux tirs de mortier. Le chemin, à la longue, jour après jour, était criblé de trous d’obus, rendant le trajet tellement difficile qu’il nous fallait parfois quitter la voie pour emprunter les champs alentour. Ce trajet découvert devait donc être accompli le plus vite possible et la boue et les ornières creusées aidant, mon H.T. n’a pas manqué de se planter par l’avant dans un fossé.
Fort énervé par le dégagement difficile et l’imminence du danger de marmitage, je m’activais comme un damné et mes manœuvres, comme de bien entendu.au fil de mon énervement devenaient de plus en plus maladroites.
Mon coéquipier, inquiet, me répétait ce qu’il venait déjà de me dire quelques instants auparavant, à savoir qu’une Jeep avec deux officiers à bord patientait à une vingtaine de mètres derrière, attendant la liberté du passage. Encore plus énervé par cette circonstance aggravante, cramoisi par tant d’efforts déployés,je déclarais de la façon la plus péremptoire « qu’ils m’em…aient et qu’ils n’avaient qu’à attendre ».
Enfin désembourbé et remis dans la bonne direction, je rangeais mon engin afin de laisser le passage à la Jeep. Quand celle-ci s’arrêta à mon niveau, j’entendis une voix calme et narquoise formuler :
« Ça va ? Tout se passe bien ? »
Je coulissais un regard sur ma gauche et aperçus d’abord l’arrondi du haut d’une canne, puis dans le prolongement du regard, un képi étoile ! … Je venais de vivre ma première rencontre avec notre général. (Heureusement, il y en eu d’autres par la suite, dans des conditions moins lamentables).
Combien de temps avait duré cet épisode ? Il est difficile, un demi-siècle passé, d’évaluer en temps réel une péripétie que l’on suppose interminable. Plusieurs minutes en tout cas, vraisemblablement cinq à dix. Il m’arrive souvent d’y penser, et ma mémoire tourmentée par le remords, prends conscience chaque fois que des obus de mortier avaient la possibilité d’atteindre la cible statique et que, pendant cinq à dix minutes, la vie de Leclerc a dépendu de ma maladresse.

 

Le 22 septembre, LECLERC charge ROUVILLOIS d’établir une tête de pont sur la Meurthe à Ménil Flin.
Le pont, détruit, oblige de passer la Meurthe à gué. Ce que font les chars et les fantassins, sous un déluge de balles depuis la rive droite de la rivière.
LECLERC et ROUVILLOIS traversent la rivière. Brusquement, les Allemands cessent de tirer et décrochent.
L’occupation du village est terminée vers 17h00.

Dans la même dynamique, la Colonne RÉMY libère Fontenoy et Glonville le 21 septembre.

Pendant l’avancée des Alliés, les Allemands sont devenus de plus en plus nerveux, traquant les résistants avérés ou potentiels.
Ainsi, Raymond GOEURY et son fils Alcide sont arrêtés pour avoir parlé imprudemment et sont emmenés par la Gestapo. Tous deux sont torturés pendant cinq jours. Leur ami, Robert SIMONIN est arrêté le 11 septembre. Il connaît le même sort. Ils sont fusillés dans le parc des cristalleries de Baccarat au matin du 14 septembre.

Bien qu’il soit libéré, Fontenoy est aux avant-postes et subit des bombardements quotidiens depuis Gélacourt et les Hauts de Hablainville.
Les habitants ont été évacués vers l’arrière, sur Gerbéviller, Moyen ou Vallois.
Seuls restent au village le maire, le curé et quelques cultivateurs. De nombreuses maisons ou fermes sont endommagées, deux sont détruites à Fontenoy où l’on déplore aussi 3 victimes civiles : Valentin AUBRY, Clémentine MOUGENOT et Julien VANOT.

La tranquillité revient après «le Menuet de Baccarat», où la 2ème D.B., par une sorte de ballet joué par ses Groupements Tactiques pour anéantir l’ennemi, libère Baccarat, Deneuvre et les villages situés au Nord et à l’Est de la ville et repousse le danger allemand puis déborde les Vosges et libére l’Alsace et en particulier Strasbourg, promesse faite lors du célèbre «Serment de Koufra».

Aujourd’hui le temps est venu de marquer dans notre paysage une trace de l’épopée de la 2ième D.B. venue jusqu’à nous pour restaurer les valeurs de notre République.

Extrait du Discours du 70ème anniversaire de la Libération de Fontenoy-la-Joûte,
Inauguration de la Borne 2e DB

LA SITUATION

Sur le plan de la division : la 2e D.B. a flanc-gardé face au sud les forces alliées qui avancent vers le Rhin. Elle a franchi la Moselle, Elle va se heurter à partir de maintenant à des résistances organisées en avant des Vosges, à la Vorvogesenstellung. La 2e D.B. a la mission d’étendre la tète de pont depuis la Moselle jusqu’au delà de la Meurthe. Elle doit également, et par priorité, assurer la sûreté des forces américaines face au sud-est. LE G.T.V. est déployé au nord-ouest de Rambervillers :
– au centre, à Rehaincourt : le groupement La Horie,
– à gauche, à Dames-aux-Bois, le groupement Cantarel,
– en avant et à droite, vers Haillanville, Hardancourt, Fauconcourt, le groupement Putz.
Selon les renseignements fournis par la résistance, les Allemands auraient réquisitionné la population civile et lui auraient fait creuser des tranchées et des trous individuels pour les lanceurs de Panzerfaùste. Une ligne de tranchées nord-sud passerait par Blamont, Montigny.

Selon l’expression de Chabrié, nous sommes en pleine merde : presque constamment sous la pluie, dans l’humidité, dans la boue.
Et Dieu sait si le mélange de cette terre forte et de l’eau donne une boue collante et glissante! Malgré de grands feux de bois, les gars n’arrivent pas à se réchauffer et à se sécher. La plupart toussent, ont pris des rhumes, des bronchites et même des affections plus graves, nécessitant des hospitalisations. Pour des hommes habitués au soleil d’Afrique, ce n’est pas la joie.

Par ce temps et sur ce terrain de cochons, nous allons nous trouver ^n état d’infériorité face aux Allemands. Avec leurs chenilles trop étroites, nos blindés vont être liés aux itinéraires routiers; ils s’enfoncent et s’immobilisent dès qu’ils quittent la chaussée solide des routes; impossible de manœuvrer en rase campagne. Avec leurs larges chenilles, les chars allemands peuvent évoluer sur presque tous les terrains, ils peuvent passer là où nous ne le pouvons pas. A la supériorité de leur blindage et de leur canon, va s’ajouter celle de la mobilité.

(Raymond DRONNE-Carnets d’un croisé de la France Libre)