BACCARAT
Lundi 30 – Mardi 31 octobre 1944
le Lieutenant Georges Mac Clenahan commandant la 2e section de la 1ère Cie du RMT.
Celui-ci est en compagnie de ses hommes devant le half-track Dunkerque, dans la rue des Cristalleries à Baccarat
Baccarat, 31 octobre 1944
UNE OPÉRATION BIEN PRÉPARÉE
Après six semaines de guerre de position face à la Vor Vogesen Stellung, ligne d’arrêt précédée du bastion de Baccarat tenu par les 106e et 111e Panzerbrigade, le général Leclerc convainc son supérieur américain, le général Haislip, chef du 15 e corps d’armée, de la nécessité d’enlever ce saillant afin d’en faire une base de départ pour l’offensive sur Strasbourg.
Il décide d’éviter les axes tenus par l’ennemi en débordant au nord par la forêt de Mondon pour déboucher à travers champs.
Leclerc prépare l’opération pendant une semaine avec ses chefs de corps, fort de leur connaissance du secteur et des renseignements fournis par des résistants venant de Glonville-Azerailles occupés.
Le curé de Domèvre parcourt des kilomètres à vélo pour signaler les forces et les emplacements allemands.
LE PASSAGE À L’ACTION
Le 30 octobre, le gros de la division prend position sur la rive droite de la Meurthe puis dans la nuit aux lisières de la forêt de Mondon, protégé par le
brouillard.
L’attaque est déclenchée le 31 octobre à 8h30 par des feux puissants des groupes d’artillerie divisionnaire du colonel Crépin renforcés de
moyens US, tandis que les sous-groupements guidés par les FFI, se déploient en éventail pour libérer les villages voisins, et surprendre l’adversaire.
En tête, le commandant Rouvillois avec, à bord de son half-track, la FFI Marcelle Cuny pour guide, évite les mines allemandes et entre dans Baccarat.
En peu de temps, les « gars de Leclerc » sont maîtres de la ville et du pont sur la Meurthe.
Mais il y a des pertes : Paul Batiment, lieutenant du RMT, Compagnon de la Libération, Pierre Dufreghou 1re classe du 12e Cuirs, Charles Simon et Henri Rollin, 2e classe, du RMT et de la 397e DCR.
La caserne sert de PC à Leclerc du 4 au 18 novembre.
Cette attaque surprise fait date dans l’histoire sous le nom de « menuet de Baccarat ».
GUIDE VERT LA VOIE DE LA 2 e DB
L’INTERMÈDE DE BACCARAT
(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)
Avant de reprendre notre chevauchée nous allons cependant faire encore un galop d’essai. Ses objectifs sont strictement limités : réduire les positions avancées, traverser deux petites rivières, lécher, sans l’entamer, la Vor-Vogesenstellung. Le Général demande (et obtient) d’en profiter pour cueillir Baccarat : mais nous ne devons et ne ferons pas un pas supplémentaire.
Le commandement américain désirait améliorer sa base de départ et faciliter la progression du VIe Corps jusqu’à la Meurthe. Pour découper cette tranche dévolue à l’avance : une blindée, sans autre panachage qu’un renfort d’artillerie. Pendant deux jours, elle laissera libre cours à ses muscles et à ses poings, mais elle étudiera et mesurera ses gestes – – le propre du style, c’est que l’effort n’y est pas apparent — puis elle s’arrêtera comme pour une révérence.
Que l’Allemand n’y ait rien compris, ce n’est pas très étonnant. Le général Bruhn, quand nous le prendrons à Saverne, nous prétendra avoir apprécié en connaisseur la qualité de la manœuvre : cette opinion était aussi couchée sur les rapports que nous lui avons pris, lesquels ajoutaient aussitôt, contre-partie rassurante, que nous nous avérions incapables d’exploitation !
Nous le connaissions bien notre coin, mêlés que nous étions depuis un mois à la terre et aux villages, ceux de l’avant tous les jours un peu plus démolis et déserts.
Quelques Lorrains y restent accrochés : le maire de Brouville, le maire de Glonville. Ils avaient évacué leurs compatriotes, gardé avec eux deux ou trois durs. Autour se groupaient ceux des villages encore occupés par l’ennemi : le maire de Gélacourt, Calamay, le gendarme de Baccarat, une dizaine de garçons solides. Au milieu d’eux, à l’aise dans les ruelles que ne visitent plus que les tuiles arrachées aux toits et les éclats des « trains bleus », solide dans ses pantalons d’homme, une jeune fille. Marcelle Cuny avait caché trois mois chez elle, à Baccarat, deux aviateurs anglais, dont les débris de l’appareil sont encore là, derrière Glonville. Puis, quand nous avions été assez proches, elle avait pris avec eux le chemin des lignes. Pour avoir une contenance à la sortie des faubourgs, elle leur avait donné une brouette, qu’elle avait vite préféré pousser elle-même tant ils étaient empruntés. Avec eux, la nuit venue, elle s’était mise dans la froide Meurthe, elle en avait encore repêché un qui avait manqué se noyer, elle s’était faufilée jusqu’à nous, les prenant par la main dans les joncs et les pièges.
A Glonville, il y avait encore quinze Vosgiens : quatorze gosses plus le père de l’un d’eux, avec leur lieutenant, Jean Serge. Ils appartenaient au maquis du Donon, qui venait d’être taillé en pièces : réunis pour leur parachutage d’armes à Viombois, ils avaient été cernés, ils avaient tenu tête trois jours, cent cinquante, dont plus de cent sans armes, puis s’étaient dispersés par petits groupes, à la grâce de Dieu. On les voit arriver par deux, par cinq, mêlés à d’autres hommes barbus et épuisés : ceux-ci sont les restes d’un commando anglais qui est depuis trois mois en forêt et qui lui aussi s’égrène vers les lignes. On les réconforte, on les regroupe; leurs chefs, Rivière, Marchal, les réorganisent, on les engage dans les rangs des fantassins du Tchad – – et aussitôt ils repartent par petits groupes, retournent là-bas pour voir et nous renseigner. A côté de nous, à l’Etat-Major, le curé de Domèvre, où les Allemands sont encore. Il est chef des maquis de la région. A Domèvre, la Gestapo s’est surpassée : l’abbé Stultzman a vu tomber un à un ses compagnons, chaque jour lui a apporté un nouveau deuil à venger, jusqu’à ce que, rentrant avec nous à Baccarat, il soit allé reconnaître la dépouille de sa sœur, fusillée et abandonnée dans un bois.
Imaginez maintenant cette équipe disparate, unanimement et farouchement résolue, fouillant le terrain, interrogeant les indices, soupesant les passages. Le travail est complété par les Allemands eux-mêmes : avec moins de spontanéité, certes, mais au fond sans trop de manières, les prisonniers faits aux lisières des bois se penchent avec nous sur la carte. L’un d’eux, un Russe, déserte à point l’avant-veille de l’opération et met à notre service un don d’observation vraiment étonnant : il repartira dans nos rangs.
Manteuffel avait déjà retiré pour la reformer la majorité de sa 5e Armée blindée. La 21e Panzer restait la dernière : devant la Division blindée française il fallait maintenir des blindés. Elle partirait à son tour dans quelques jours, dès que la 106e Panzerbrigade, dégagée de la région du Thillot, serait arrivée. En attendant, la 21e Panzer recevait un sérieux appoint d’antichars : son bataillon antichars, auquel il ne restait que quatre canons de 88, recevait en bloc, vers le 15 octobre, douze canons de 85 russes, réalésés en 88, avec tout le personnel pour les servir. Ces renforts étaient presque tous mis en œuvre entre Meurthe et Vezouze, pour couvrir la rocade Baccarat-Montigny-Domèvre.
L’ennemi s’était donc préparé à une irruption de blindés : il les attendait cependant surtout sur les routes et principalement sur les deux axes que forment la Nationale 59 et la Nationale 4, bifurquant toutes deux de Lunéville vers Baccarat et vers Sarrebourg, qu’il avait barrées à Azerailles et à Ogeviller. A mi-chemin, tenant la croupe entre les deux vallées et le carrefour des routes secondaires, il avait fortifié Hablainville. Ces trois points forts étaient reliés par un rideau d’infanterie sans profondeur : si les documents saisis montraient en effet qu’il avait prévu à l’avant trois lignes de résistance successives avant de retomber sur la Vor-Vogesenstellung, il manquait d’effectifs pour les garnir.
Le Général choisit donc de manœuvrer par surprise, profondément et en dehors des axes.
Le gros de la division se met en place sur la rive droite de la Meurthe le 30 octobre, par une journée ouateuse qui masque à souhait les vues et les bruits. Le débouché aura lieu des lisières est de la forêt de Mondon, mais la dernière partie du parcours (par trois itinéraires aménagés par le génie à travers la forêt) ne se fera qu’immédiatement avant le déploiement, le 31 au matin, pour réserver le maximum de surprise. La Horie, au centre, évitant délibérément Hablainville pour passer tous terrains au nord et au sud, doit immédiatement border la Verdurette de Pettonville à Merviller, y chercher des passages et, sans marquer d’arrêt, pousser sur Vacqueville. Les autres sous-groupements se déploieront en éventail autour de lui, protégeant ses flancs et ses arrières, élargissant sa brèche et s’assurant les routes, qui seront aussitôt déminées. Merviller pris, Baccarat sera attaqué par le nord, et une menace poussée de Vacqueville en direction de la route Pexonne-Neufmaisons doit nous conserver l’ascendant suffisant pour que les réactions ennemies ne puissent être efficaces avant que nous soyons consolidés. Alors seulement nous tirerons notre révérence. Six sous-groupements, dont chaque temps est réglé et dépend de tous les voisins – – il n’y manque même pas la désinvolture des chasse-croisés -le menuet de Baccarat.
*
A la tombée de la nuit, chacun perfectionne son style, tandis que le Général et son Etat-Major, qui n’ont plus à intervenir, ont tout le loisir, des fenêtres sans carreaux du glacial séminaire de Ménil-Flin, de scruter le ciel. La traversée du bois et le débouché en plein champ sont déjà scabreux à cette époque (on a spécialement sorti les chars pour une expérience : ils s’enliseront dans des mares de boue si la pluie se remet de la partie) ; or le temps aujourd’hui s’est radouci et s’est couvert.
Mais le matin du 31 s’ouvre froid et ensoleillé. Bientôt il s’emplit des tirs de l’artillerie qui commencent au moment du débouché, car là aussi tout a été subordonné à la surprise. Et les lisières de la forêt se garnissent de chars.
*
Le menuet suit son rythme. Pour qu’il n’ait pas l’ennui des choses trop impeccables, voici d’abord juste ce qui est permis comme faux pas.
La Horie, ouvrant la danse, doit donc éviter Hablainville, point fort sur la colline, pour s’emparer de Pettonville et du pont sur la Verdurette. En tête, le premier char passe le ressaut du terrain, découvre son village, n’hésite pas une seconde à annoncer « Pettonville » : et toute la harka de l’enfoncer. Vers le pont, puisque lui seul compte, le capitaine dépêche aussitôt l’aspirant. Ce dernier est un peu dépité lorsqu’il revient : «II n’y a pas de pont… d’ailleurs il n’y a pas de rivière ! » — Histoire de fou. Qui témoignera ? – – «La plaque à l’entrée du village, retourne la voir en vitesse ». C’était Hablainville !
Que c’eût été le point fort, personne ne s’en souciait plus, puisqu’on l’avait pris sans le savoir. On y avait tué cinquante boches, liquidé deux ou trois canons. Il ne reste qu’à se dépêcher sur Pettonville, qu’on prendra à son tour, pendant que Massu, dont Hablainville était l’affaire, et qui attend derrière, trouve un peu fort qu’on l’ait dérangé pour rien…
Puis tout rentre dans l’ordre, La Horie borde la Verdurette de Pettonville à Reherrey; sur trois ponts, il s’en assure deux. Passé sur la rive droite, il va couper au sud de Montigny la route de Baccarat à Domèvre et repart droit à l’est déborder Vacqueville par le nord – – Massu l’a fidèlement suivi jusqu’à la rivière.
Cantarel, sur la droite, a pris Brouville et Merviller. Il s’efface et, coupant La Horie, il passe sur sa gauche, droit au nord, sur Montigny. Pour le remplacer, voici Quiliquini.
A l’heure H, sortant à l’improviste des Hauts-Bois, celui-ci avait sans autre façon, de flanc, et en compagnie du déserteur russe, abordé Azerailles. De l’observatoire voisin, comme d’une loge devant un théâtre d’enfants, on a vu le canon antichar cracher sa lueur à la place qui sur nos cartes lui était dévolue, puis se taire; et le grand bazooka jaune surgir de dessous le ponceau, traîné en brimballant dans la retraite précipitée de ses deux servants. La garnison était sortie par paquets, les bras levés; elle collaborait maintenant au déblayage, sous l’œil vigilant du Russe, qui leur prouvait ainsi qu’en définitive c’était bien lui qui avait eu raison.
Sortant de la forêt au même instant et un peu plus au nord, Rouvillois avait pris la crête qui domine Gélacourt, puis Gélacourt, puis le 88 et la position du bois des Aulnays. Marcelle Cuny l’accompagne depuis le matin : elle lui indique maintenant un itinéraire qui évite les obstacles établis par les Allemands à l’entrée de la ville. Il pénètre avec elle dans Baccarat par le quartier des casernes.
Il se répand aussitôt sur la rive droite de la Meurthe : en même temps, guidé par Calamay, y voici le détachement Joubert. Ce dernier, détaché par Quiliquini, a échangé la droite de Rouvillois pour la gauche de Rouvillois. Il a ainsi gagné Merviller puis Baccarat par la route du nord.
Tous foncent alors sur le pont : Krepps, Luchiesi, Maclena. Au canon, ils tirent dans le groupe qui s’affaire de l’autre côté. Ils coupent en deux l’officier avant qu’il n’ait mis en œuvre la destruction. Il ne restera plus au sous-officier boche qu’à nous montrer comment nous débarrasser des imposantes torpilles qui truffent tout spécialement ce coin-là et nous serons maîtres du seul pont impeccable sur la Meurthe qu’on puisse encore trouver à l’heure où j’écris.
Demain, il reste à arrondir quelques gestes :
Vacqueville n’est pas encore pris. Le terrain a été à limite de praticabilité toute la journée — et après le passage allègre des chars on y a vu souvent de tristes troupeaux de half-tracks embourbés. Dans l’après-midi il a fait soudain défaut à La Horie : le menuet risque de devenir black-bottom. Il faut faire demi-tour, revenir par Merviller sur les Carrières, que le colonel von Luck, qui avait perdu d’entrée la moitié de ses effectifs, a quittées précipitamment. Le 1er novembre l’attaque reprend et va durer jusqu’au soir.
En partant, von Luck avait confié Vacqueville a son officier favori : lieutenant Sommer, commandant la compagnie d’Etat-Major. Le journal de la Wehrmacht venait de le mettre à l’honneur, car il avait reçu la haute distinction de Ritterkreuztraeger du régime. Le titre de l’article était : « Ein Offizier der Teufelsdivision und seine mànner ». Le même titre venait à l’esprit irrésistiblement au spectacle de ce même officier et de ces mêmes hommes rangés contre les murs fumants et fouillés par les Espagnols de Dronne. L’officier avait timidement montré au fond de sa poche sa Ritterkreuz, beau crachat tout plein de brillants, et, comme un gosse, il questionnait anxieusement : pourrait-il la garder ?
Quant à la. Teufelsdivision, elle perdait encore tout le terrain entre la Verdurette et la Blette, que Minjonnet et Massu conquéraient incontinent, le pont sur la Blette à Montigny, que coiffait Cantarel, et à l’autre bout toute la Meurthe jusqu’à Bertrichamps.
A Montigny, Cantarel touchait la Vor-Vogesenstellung. Cette fois, ça devenait sérieux. Tranchées hâtivement garnies avec de tristes produits de la « mobilisation totale », tous les chars disponibles (une vingtaine) rués sur le secteur, mais à distance respectueuse, troupes prélevées dans la nuit aux autres secteurs et grosse débauche de munitions d’artillerie.
Et aussi, signe infaillible du désarroi chez l’ennemi, la réaction désordonnée de son aviation. Trente Messerschmidt le 1er novembre : pour des gens qui en sont si économes ! Deux sont abattus d’entrée par la 4e batterie antiaérienne. Cinq autres s’ajouteront les jours suivants au tableau, l’un qui offrira à un canon de la 1ère batterie l’occasion d’un spectaculaire combat singulier. Fonçant sur la pièce qui l’attaque, il percute et explose devant elle, criblant d’éclats les servants ; le moteur rebondit et roule sur 300 mètres tandis que le pilote vient s’écraser aux pieds mêmes de ceux qui l’ont abattu.
Après quoi tout rentrera dans l’ordre : l’ennemi a conclu – – pour un temps — que nous ne savons pas exploiter !
L’image du doigté et de l’ascendant pris sur lui dès le 31, on pouvait la trouver dans le cadre du vin d’honneur que les F.F.I. et la municipalité de Baccarat offraient au Général le 3 novembre. Le curé de Domèvre présentait ses concitoyens et ses camarades dans la salle d’exposition de la Cristallerie. Peut-on imaginer décor plus fragile ? Qu’en serait-il resté après l’ombre d’une résistance ou si seulement le pont avait sauté ?
Et sur une planchette surélevée au milieu des coupes de Champagne s’alignaient en frêle trophée quelques carafes et quelques verres, vestiges du service taillé et ciselé pour Goering.
***
(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)
JOURNAL DE GUERRE
Christian GIRARD
aide de camp du général Leclerc
Journal de Guerre 1939 – 1945 (Extrait)
L’Harmattan
Mercredi 1er novembre 1944 – Gélacourt
Baccarat est pris.
Nous avons passé la nuit du 30 au 31 à Mesnil-Flin, tandis que les unités se mettaient en place à l’abri des arbres et de l’obscurité.
Hier matin les grandes eaux se sont déchaînées. L’artillerie s’est mise à tonner.
Les blindés sont sortis des hauts bois et ont dévalé sous un soleil merveilleux vers Baccarat.
Sur une petite éminence, des colonels, et généraux de la 1ère Armée venus assister au spectacle.
On dit, mais ce n’est sûrement pas vrai, qu’ils venaient voir le dompteur se faire manger par les lions.
Baccarat n’était évidemment pas un objectif pour D.B..
Seulement il s’agissait de la nôtre.
Rouvillois s’est surpassé.
La Horie se met en retard en prenant un village qui était destiné à Massu.
Mais tout s’arrange par un miracle de maîtrise et la ville tombe sans qu’un verre se casse.
Malgré tout le Général n’est pas content.
Il ne se calme cet après-midi qu’en voyant Dronne dans Vacqueville en flammes.
C’est que l’opération aurait pu être beaucoup mieux exploitée.
Telle quelle, c’est un beau succès local. C’aurait pu être un succès de grande envergure si les Américains avaient amené une division d’infanterie derrière nous pour la jeter aussitôt dans la brèche. Ils auraient pu atteindre Blamont, Badonviller, Raon l’Etape…
Au lieu de cela, la surprise passée, l’ennemi va se rétablir et dans huit jours, le travail sera tout aussi dur.
Cette méthode des coups d’épingles est irritante. Elle coûte cher.
Le Général ne l’apprécie pas du tout. Quand on lui demande d’exercer une pression, d’effectuer une progression locale, il commence toujours par essayer de prouver que cela ne servira à rien. Si l’ordre est maintenu, il cède, prépare son affaire et frappe un grand coup, par surprise, avec un choc brutal de blindés et d’artillerie. Après, il enrage que son succès reste localisé.
Enfin ! retournons au P.C. avant dont l’installation est, comme à l’accoutumée, de fortune. Mais le Général est tout à fait détaché des contingences et celle-là ne l’empêche nullement d’inviter des gens à dîner et à coucher comme s’il était encore au Bristol.
Jeudi 2 novembre 1944 – Gélacourt
II est question que nous nous installions à Baccarat pour quelques jours, le temps que la division se regroupe et en attendant la reprise du mouvement. Le Général avait pensé choisir Azerailles.
Il ne reste, hélas, qu’une seule maison en état dans ce gros bourg. Ce sera donc à Baccarat que nous irons.
Nous n’étions pas si mal à Gélacourt. Les poêles fonctionnaient et nous avions pu débarrasser assez de pièces de leurs plâtras et de leurs gravats pour les rendre habitables. Si les propriétaires ne tardent pas à revenir, ils pourront rétablir sans trop de mal une situation qui était bien compromise lorsque nous sommes arrivés.
Le seul inconvénient est qu’il pleut et que le toit n’arrête pas la pluie. La chambre du premier est mondée en dépit du bataillon de seaux que nous avons rassemblé dans le grenier.
Le pauvre Châtel aura les pieds dans l’eau demain et je me demande si le plafond du rez-de-chaussée tiendra toute la nuit.
Repiton a dîné avec nous ce soir et nous a parlé de Marcelle, cette étonnante jeune fille de Baccarat qui est sortie de son maquis pour venir nous donner des renseignements précieux.
Pendant qu’il montait l’opération avec le Général, Repiton a décidé que Marcelle servirait de guide à Rouvillois.
Elle est donc montée dans le half-track de cet homme parfait qu’est Rouvillois.
Elle a débouché à ses côtés sur le plateau d’Hablainville aussitôt couronné par mille explosions, elle a déboulé sur Gélacourt et de là sur Baccarat.
Elle a montré le chemin qu’il fallait prendre, par derrière la cristallerie, et elle est rentrée triomphalement parmi les siens.
Repiton l’a revue ce matin, semblable à elle-même, franche et décidée, vêtue d’une capote d’adjudant et coiffée d’un casque.
Elle l’a remercié avec effusion
Je sais que vous avez voulu me récompenser.
Un sourire plisse le visage enthousiaste et malicieux de Repiton.
C’est effectivement ce qu’il avait voulu.
Marcelle méritait ce retour dans cette ville qui était pour elle ce que Paris était pour nous.
Elle a eu un joli mot sur Rouvillois.
Evoquant son arrivée à Azerailles, elle confie à Repiton : j’ai commencé par avoir un peu peur, au début, avec tous ces obus qui tombaient de tous les côtés.
Puis, avec simplicité : Ça n’a pas duré. A côté du Commandant, je n’avais plus peur.
Repiton donne ce bref coup d’encensoir de la tête et des épaules qui souligne chez lui, mieux encore que les mots, la joie du cœur.
Je me rappelle l’impression que m’avait faite à Champfleur la présence tranquille de Rouvillois au milieu des rafales.
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